Fanfiction
- 3ème Saison « Les jeux sont faits » |
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17- Perceptions intimes
- La Rochefoucault disait bien « on pardonne tant que l’on aime », non ? Fit remarquer Deshi.
- Mais nous ne sommes pas ensemble ! Rétorqua Kima.
- Tout comme… Répondit Deshi en avalant sa dernière tartine. Plus que quatorze jours avant la Saint Valentin !Tout le monde était levé et il était encore tôt pour partir en cours, c’est pourquoi certains ne se formalisaient pas pendant que d’autres passaient trop de temps dans la salle de bain.
Denchu, mieux que la veille, faisait le tour des chambres et des salles de bains pour demander à ce que tout le monde se retrouve en bas, afin qu’elle leur explique son ressentiment.
A huit heures moins vingt, la jeune fille avait réussi à réunir toute la pension. Il lui fallait moins de cinq minutes pour leur expliquer ce dont elle pensait et elle estima que cinq autres minutes étaient nécessaires pour lui permettre de répondre aux questions tout en s’assurant de ne pas être en retard pour l’école.- On t’écoute, l’encouragea Toya.
- Les récents évènements m’ont conduit à penser que les attaques s’inspiraient de nos cauchemars, annonça-t-elle, tout de go. C’est l’attaque qu’a subie Deshi qui m’y a fait penser, après, peut-être que je me trompe, et je voudrai avoir les avis de Kasumi… et de Yumi.
- Maintenant que tu le dis, commença Kasumi… J’ai toujours eu peur de me noyer, bien que mon élément soit l’eau, mais surtout, de voir mes amis mourir à cause de moi, à cause de l’eau…
- Ca confirme en quelque sorte ce que vient de dire Denchu, répondit Deshi. C’est vrai que depuis toute petite, mes craintes se regroupent autour du morbide, squelettes et autres morts-vivants…
- Moi, par contre, je n’ai jamais vraiment craint les araignées, la contredit Kima.
- Cette araignée… elle était pour moi, reprit Denchu. J’ai raté l’occasion d’avoir plus de pouvoir, et cette occasion ne se présentera sûrement pas une deuxième fois…Yumi, Peluche te faisait peur ?
- Nan, mais j’avais peu’ que vous m’abandonniez pou’ Peluche.Denchu se leva de son siège, caressa Flocon qui semblait porter attention à la conversation depuis que Yumi avait prononcé le nom de son défunt compagnon, et prit son sac sur les épaules. Tous imitèrent son dernier geste qu’elle accompagna d’un avertissement :
- Les attaques se nourrissent de nos peurs, et je ne sais pas si ceux qui ont déjà bravé les leurs sont immunisés. Toujours est-il, qu’il faudra faire face, car en général personne n’est là pour aider.
- Pourquoi ils n’ont attaqué que les filles, demanda Takeshi à la jeune fille qui avait le dos tourné.
- Je ne sais pas, répondit simplement Denchu, sans regarder son interlocuteur.
- Parce que nous détenons le pouvoir des éléments principaux ! Répliqua Deshi en lançant une pichenette sur la joue de Takeshi.Yuko suivait le mouvement, silencieuse. Elle se remémorait les propos de Denchu et savait que de son côté, elle n’avait rien à craindre, car elle n’avait pas peur.
Elle se rappelait vaguement d’une citation de Joseph Conrad qui disait que « l’homme peut tout détruire en lui-même : l’amour, la foi, la haine et même le doute. La seule chose qu’il ne peut cependant supprimer est la peur ».
Cette simple déduction lui rappelait douloureusement qu’elle ne pouvait pas se considérer comme humaine, puisqu’elle était déjà à demi morte.
Lorsqu’elle leva la tête, elle croisa le regard de Yugo qui l’attendait contre un arbre.
Interloquée, elle fronça les sourcils et s’arrêta net dans l’allée. Kima, ayant aperçu le jeune homme, se retourna vers Yuko et lui envoya un clin d’œil, enfonçant un peu plus la jeune fille dans l’embarras.- Je crois qu’il y a quelqu’un pour toi !
- Qu’est-ce qu’il me veut encore celui-là… ? Commençait-elle à râler.Elle ne pouvait plus l’éviter, ni même faire semblant de ne pas l’avoir vu car son arrêt brutal avait imagé sa réflexion. Elle se résigna donc à ne pas contourner la difficulté et à faire face au problème.
- Qu’est ce que tu fais là ? L’agressa-t-elle.
- Toujours aussi charmants tes accueils… Répondit lascivement Yugo en se détachant de l’arbre.
- Ca ne répond toujours pas à ma question, lui fit-elle remarquer en croisant les bras.
- Je me proposais à t’accompagner au collège, et en même temps en profiter pour une révision de dernière minute, car c’est aujourd’hui que nous passons.Yuko leva un sourcil et ouvrit la bouche pour pouvoir dire quelque chose, mais Yugo lui emboîta le pas.
- Tu avais oublié que c’était aujourd’hui, n’est-ce pas ?
- Totalement… Admit-elle.
- Comme je m’en doutais, on va pouvoir réviser les vers en chemin.La jeune fille souffla de lassitude et se soumit à l’exercice de Yugo. Le plus horripilant pour elle était d’ajuster un ton tragique dans sa voix, une voix plaintive que Yugo devait repousser en affichant le dégoût de l’inceste que voulait commettre Phèdre-Yuko.
Quelques vers plus loin, arrivés au collège, une jeune fille, fraîchement débarquée en seconde interpella Yugo qui dut se détacher de Yuko pour la rejoindre.
Son parfum capiteux flottait encore dans l’air, et Yuko réprima une grimace. Pour éviter de se mettre en apnée, elle se dirigea quelques mètres plus loin près de Kasumi et Satoshi.
Ce fut lui qui enchaîna en premier :- C’est ton petit ami ?
- Satoshi ! Grinça Kasumi.
- C’est bon, c’est toi qui voulais le savoir, alors autant lui poser la…
- Non, et ce n’est pas un ami non plus, rétorqua Yuko.
- Tu vois, je te l’avais dit ! Reprit Satoshi. Il sort avec Nanako, je les ai vus plusieurs fois ensembles !Plus loin, la discussion ne tournait pas autour de sujets aussi futiles…
~*~
- C’est encore raté, Yugo, lui faisait remarquer Nanako. On ne va pas pouvoir continuer à attendre comme ça…
- Si vous ne me laissez pas finir, je ne vais pas aller bien loin… Répondit-il, agacé.
- Ca en devient insupportable. Tu tournes autour d’elle comme un petit chien-chien à sa maîtresse !
- Ressaisis-toi, Nanako. Tes techniques ne m’ont pas semblé des plus efficaces, alors ne vient pas mette ton grain de sel là-dedans. Elle sera à nous bien assez tôt.
- Je l’espère, sinon…
- Sinon quoi ? Tu ne peux pas te nourrir de ses cauchemars… Ton action serait inutile ici, et ce n’est pas la mission qu’on t’a confiée. D’ailleurs, si je réfléchis bien… pour l’instant, il n’y a que toi qui as échoué… et quatre fois de suite.
- JE N’AI ECHOUE QU’UNE FOIS ! Hurla Nanako, ce qui fit se retourner plusieurs élèves, attardés dans la cour.
- Parce que j’étais là. C’est à chaque fois moi qui répare les dégâts pour t’éviter le pire. Tâche de t’acquitter du reste et effectue entièrement tes missions sans compter sur les autres.Nanako regardait Yugo partir au loin. Elle sentait une larme sourdre au coin de ses yeux. Ca oui… La prochaine, je ne la raterai pas.
~*~
Le temps s’était écoulé beaucoup trop vite pour Yuko qui peinait à retenir ses derniers vers. Outre le fait de s’afficher devant toute une classe qui ne la portait pas dans son cœur, Yuko devait en plus s’affubler d’une toge et étaler des sentiments qui ne lui appartenaient pas sur le devant de la scène.
Lorsque le professeur fit appel à son binôme, elle se résolut à ne pas paraître encore plus ridicule en rechignant à aller sur l’estrade. Elle passa en vitesse devant les tables, non sans remarquer des coups de coudes accompagnant des murmures moqueurs.
Enfin, elle sortit le drap qu’elle ajusta autour de ses hanches et de ses épaules afin qu’il la recouvre à l’effigie des reines romaines. Yugo eut juste à cintrer un ceinturon armé d’une épée autour de sa taille, puis se plaça au milieu de l’estrade, dos tourné à Yuko.…
Lui : Dieux ! Qu’est-ce que j’entends ? (Il se tourna vivement pour regarder Yuko dans les yeux) Madame, oubliez-vous que Thésée est mon père et qu’il est votre époux ?
Elle : (Avec un mouvement de recul à l’approche soudaine de Yugo) Et sur quoi jugez-vous que j’en perds la mémoire, Prince ? (Main sur le cœur) Aurais-je perdu tout le soin de ma gloire ?
Lui : (Baissant la tête) Madame, pardonnez. J’avoue en rougissant, que j’accusais à tort un discours innocent. (Levant la main pour cacher ses yeux) Ma honte ne peut plus soutenir votre vue ; et je vais…
Elle : Ah ! Cruel, tu m’as trop entendue. Je t’en ai dit assez pour te tirer d’erreur. (Se jetant sur lui pour tirer son épée) Hé bien ! Connais donc Phèdre et toute sa fureur. (Ne pouvant s’empêcher de rougir) J’aime. Ne pense pas qu’au moment que… (Est troublée par le regard perçant de Yugo) Ne pense pas qu’au moment que je t’aime, innocente à mes yeux, je m’approuve moi-même, ni que du fol amour qui trouble ma raison ma lâche complaisance ait nourri le poison. (Il se recule encore) Objet infortuné des vengeances célestes, je m’abhorre encor plus que tu ne me détestes. (Levant les mains au ciel avant de les reporter sur son cœur) Les Dieux m’en sont témoins, ces Dieux qui dans mon flanc ont allumé le feu fatal à tout mon sang ; (Se murmurant presque à elle-même) Ces Dieux qui se sont fait une gloire cruelle de séduire le cœur d’une faible mortelle.…
A la fin de la tirade, des applaudissements, des rappels, la première fois qu’on attribue une qualité à Yuko.
L’air toujours grave, elle regardait néanmoins son public avec une émotion nouvelle qui n’était visible que de l’intérieur. Yugo lui serra le bras et l’attira à lui pour lui chuchoter un « bravo ! » à l’oreille.~*~
Le jour commençait à décliner et la fin des cours venait de sonner pour tout le monde, et Yuko se pressa de ranger ses affaires. Elle ne savait pas pourquoi, mais elle ne voulait pas traîner en classe. Elle allait sortir en première lorsque Yuko la retint par le poignet pour la stopper :
- Sensible Phèdre, me feriez-vous le privilège de vous raccompagner ?
- Et je devrais une faveur à un Hippolyte qui a ridiculisé l’ampleur de mes sentiments ?
- Tu réponds toujours par des questions ? Lui fit remarquer Yugo qui ne jouait plus son jeu d’acteur.Yuko inspira bruyamment, et lui fit une moue qui voulait dire en quelque sorte « dépêche-toi, on n’attend plus que toi ! ».
Le jeune Hippolyte fourra toutes ses affaires dans son sac qu’il ferma avec difficultés, le bascula sur son dos et s’avança près de Yuko, avec une expression dans les yeux signifiant « Eh bien, qu’est-ce qu’on attends ? ».Sur le chemin, ils ne se disaient mot. Yuko était trop gênée par sa présence, et elle perdait sa prestance habituelle lorsqu’il était près d’elle.
Lui, marchait comme à son habitude : d’un pas décidé, les sourcils froncés, il avait l’air de réfléchir et de ne pas se soucier de son environnement.
Que je sois là ou pas… du pareil au même… S’étonnait-elle de penser. Perdue dans ses réflexions, elle ne vit pas le renfoncement du trottoir et se tordit la cheville. Yugo la rattrapa avant qu’elle ne tombe.Il est plus alerte que ce que je ne pensais…
- Ca va ? Rien de mal ? S’inquiéta Yugo.
- Mis à part que je viens de me ridiculiser devant certaines personnes, tout va bien… Maugréa-t-elle.
- On s’en fou des autres, est-ce que tu t’es fait mal ?
- Non ! Fit Yuko en se dégageant.Elle accéléra le pas comme pour rattraper son rythme cardiaque qui s’emballait tout seul, mais sentant que son action la trahirait encore plus, elle s’arrêta, croisa les bras et toisa Yugo :
- Si tu veux me raccompagner, il faudrait marcher un peu plus vite.
- Si on accélère, tu risques de trébucher plus d’une fois.Elle leva les yeux au ciel, et, ne sachant quoi répondre, se remit à marcher. Yugo marchait en retrait derrière elle. Il la raccompagnerait jusqu’à la pension ainsi.
A quelques mètres de l’allée, Yuko s’arrêta. Elle avait un pressentiment, et se sentait observée.
- TAKESHI, RENDS-MOI CA !!
C’était Toya qui courait après Takeshi. Il avait une photographie dans les mains et semblait hilare. Yugo arriva sans se presser au niveau de Yuko, et Takeshi ne tarda pas de les bousculer.
- Oups, pardon… VIENS LA CHERCHER !
Dans son élan, Toya bouscula également les deux arrivants pour se jeter aux pieds de Takeshi et ainsi le déséquilibrer afin de récupérer son bien.
Une violente secousse ébranla les deux jeunes hommes qui se relevèrent un peu groggy.- Eh beh… Quelle force. Ton placage m’a complètement retourné le cerveau, lui fit remarquer Takeshi en se massant douloureusement la nuque.
- Parfois, je m’étonne moi-même… Allez, rends-moi ça ! Ajouta-t-il en tirant d’un coup sec sur le coin de la photo laissant apparaître subrepticement deux enfants en bas âge. Ouuuh…moi aussi je suis un peu sonné, je crois…Les deux garçons se retournèrent vers Yuko et Yugo. Leurs expressions étaient opposées : Yuko avait perdu toute ses couleurs. Sa bouche entrouverte et ses yeux grands ouverts laissaient s’échapper une expression d’horreur affligée. Yugo, quant à lui, sourcils levés et léger sourire aux lèvres, dégageait une expression moqueuse.
Takeshi et Toya s’étaient retournés vers les deux arrivants, et, remarquant leurs expressions, se relevèrent en vitesse, Toya grognon et Takeshi embarrassé, pour rejoindre la pension.
- Je suis désolée que tu aies assisté à… à ça, s’excusait Yuko, la voix paniquée
- Il n’y a pas de mal.« CRAAAC !! »
- Et à ça aussi… Souffla-t-elle.
- Ils ont l’air pas mal agité tes amis, répondit-il, amusé.
- Bon, merci de m’avoir raccompagnée, et bonne soirée ! Coupa-t-elle court pour le congédier.
- Ok ! Ce fut un plaisir, je m’y risquerai plus souvent !
- Oui, c’est ça, marmonna-t-elle entre ses dents avant de tourner talons.~*~
- Tu as quoi ?! S’exclamait Deshi.
- Oh, ça va, c’est l’hôpital qui se fout de la charité… La poignée m’est juste restée dans les mains ! Répondit Toya.
- Comment ça, elle t’est « restée dans les mains » ?!
- Eh bien, lorsque j’ai ouvert, la poignée est partie, elle était mal fixée, ou alors, c’est à force de donner des coups sec dessus, je sais pas moi !
- Il nous manquait plus que ça… Ca va être bien quand on va partir en cours, avec une porte qui ne ferme pas à clé.
- Oh ça va ! Ca aurait pu tomber sur toi.
- Arrêtez vous deux, vous me donnez mal à la tête ! Les interrompit Takeshi.Le téléphone sonna et ce fut Denchu qui décrocha aussitôt, contente de ne pas avoir à entendre la dispute qui commençait.
- Allo ?
- Oui, bonjour, pourrai-je parler à Takeshi ?
- … C’est de la part ?
- Ahum, Michiru !
- Vous avez dû faire un mauvais numéro…
- Attends ! Attends, j’ai quelque chose de très important à lui dire, il faut que…Mais Denchu n’attendit pas la fin de sa phrase et raccrocha. Kasumi, qui était descendue, s’approcha de Denchu.
- C’était qui ?
- Oh rien, juste une grossière erreur !
- Je vois… Et qu’est-ce qu’elle voulait ?
- Je ne sais pas, répondit Denchu en souriant.Dans la soirée, Takeshi avait laissé Haneru faire la cuisine car depuis que Toya l’avait percuté, il avait des élancements dans la tête. Il était parti se reposer, mais la sonnette l’avait tiré de son sommeil. Il se retourna dans son lit pour retrouver une position confortable lorsque sa porte de chambre s’ouvrit sans ménagement, dans un bruit comparable à une planche de bois se détachant d’un pan de mur pour retomber lourdement sur le sol.
- Puisqu’on ne peut pas t’avoir au téléphone, j’ai été obligée de me déplacer moi-même…
- Michiru ?!
- Ouah, au moins, il n’a pas perdu la mémoire… Bref, je veux qu’on se remette ensemble. Je ne vois pas ce qui nous a éloigné… Mise à part la gourmette de sa charmante copine…
- Il y a de ça, en partie…
- Pardon ? De quoi « il y a de ça » ? Répondit-elle, agacée.
- La gourmette. Enfin bref, ça ne pouvait pas fonctionner réellement entre nous…
- A cause de Denchu ? Parce que tu laisses des gens interférer dans notre relation ?
- Ce sont mes amis !! Commençait à s’emporter Takeshi.
- Oh, oui, des amis, j’ai bien vu comment elle te traitait. Ca te plaît de ramper à ses pieds ?
- Ca va, lâche-moi. Je ne t’ai pas obligée à venir.
- Très bien, mais je peux te dire que d’ici peu, tu seras de nouveau à mes pieds.
- Ca, j’en doute…
- J’ai plus d’un tour dans mon chapeau !
- Dans ton sac ! Et puis, tu connais la sortie.
Le sourire fin qui se dessinait à la bouche de la jeune fille disparut à la dernière phrase de Takeshi et elle se retourna vivement pour quitter la pièce.
Dans le salon, Takeshi put entendre Haneru lui dire au revoir et Toya d’ajouter que sa visite a été des plus agréables.
Il entendit également Michiru répliquer une insulte, mais personne n’en donna suite. C’est à ce moment là que tout s’éclaira.
Le choc que Toya et lui avaient subi avait eu pour conséquence un transfert de pouvoir. Il arrivait à entendre les pensées, et ceci allait lui être bien utile…~*~
La fin de soirée était proche. Toya balayait la cuisine où il avait cassé trois verres lorsqu’il les avait pris du placard et Takeshi aidait Denchu à débarrasser la table.
Elle ne lui avait pas adressé la parole depuis la veille et lorsqu’il lui demandait un service des plus anodins – comme mettre les couverts dans les assiettes – elle éludait tout simplement la question.
Toya avait fini de son côté et il se retira pour attraper à temps la salle de bain qui avait déjà été bien colonisée. Takeshi et Denchu se retrouvaient donc seuls, et la jeune fille menaçait de rejoindre Deshi à l’étage.
Il voulait lui parler, mais elle aurait joué la carte de l’indifférence, beaucoup plus douloureuse à ses yeux que la colère, car elle ne donnait aucune raison. Il savait pourtant qu’elle l’entendait, voire même qu’elle l’écoutait, alors il tenta quelque chose :- Tout à l’heure, j’ai vu Michiru, il paraît qu’elle a essayé d’appeler.
Denchu avait arrêté son mouvement et s’apprêtait à le reprendre, l’air de rien, mais Takeshi l’avait devancé. Il plaqua ses mains contre les tempes de la jeune fille. Elle s’était retournée face à lui sous l’émotion et portait ses mains pour se dégager, mais tout se brouilla et ses yeux se figèrent dans la stupeur…
Une vague de désillusion déferla sur Takeshi et il eut l’impression qu’il allait s’y noyer. Des images ne lui appartenant pas défilaient devant lui. Il suivait leurs flots incessants, détachés de tout, semblant flotter dans un espace trop grand et incontrôlable. Il semblait n’exister que dans l’illusion de la lumière et de la représentation que formaient ces souvenirs.
Lorsqu’il réussit à se fixer, il se concentra sur la scène qui lui faisait face. Il voyait Denchu, avec la tenue de ce jour-ci en conversation téléphonique, sourcils froncés. La voix au bout du fil était celle de Michiru. Puis l’image disparut pour montrer la détentrice des souvenirs fixer une gourmette avec un prénom dessus, le regard triste. Plusieurs autres images s’enchaînèrent d’un coup : des visions de Takeshi et de Michiru, leur premier baiser, la porte de la classe s’ouvrant et laissant apparaître Ryu, le frère de Michiru., Ryu agrippant le bras de Denchu plus qu’effrayée, Ryu et Denchu main dans la main, plus jeunes. Ryu lui souriant, Ryu l’embrassant, Ryu, Ryu, Ryu…~*~
- A ce soir huit heures, alors ! Et ne sois pas en retard… tu es très attendue, souriait un Ryu qui avait quelques années de moins.
- Ok, j’essaierai d’être à l’heure. Tu es sûre que tes parents ne vont pas trouver ça prématuré ? Lui répondit une jeune fille habillée à la façon des collégiennes.
- Ils n’espéraient plus te voir, Denchu.
- A ce soir !
- A ce soir.
- Euh, Ryu
- Oui ?
- Est-ce que je t’ai déjà dit que je t’aimais ? Demanda Denchu en s’approchant félinement près de Ryu.
- Oui, des milliers de fois… Tu n’es pas encore partie ?! Attention, on est très pointilleux sur les horaires.
- Ils vont apprendre à me connaître, alors. Je file me préparer à plus !Denchu déposa un baiser sur les lèvres de Ryu, puis s’en alla en courant. Elle respirait la joie de vivre et était heureuse à l’idée de rencontrer les parents de Ryu. Elle avait prévenu Kaho, Deshi et Toya qu’elle ne rentrerait pas à la pension ce soir-là, car elle allait le passer avec celui qui partageait son cœur depuis trois mois.
Certes, tout n’avait pas été rose dans leur relation. Le premier mois, elle l’avait surpris avec une fille collée à ses lèvres, mais il s’était excusé. Il lui avait dit qu’il avait promis un baiser d’adieu à cette fille qui n’avait cessé de souffrir de dépit pour lui. Mais il avait fait son choix, lui avait-il annoncé, et il voulait lui faire comprendre en douceur que ça n’était pas possible entre eux, que son cœur était déjà pris, et que ce qu’il pouvait lui offrir n’était qu’une illusion, un baiser, une consolation éphémère.- Alors, tu en penses quoi ? Demanda Denchu à son amie, alors qu’elle terminait les derniers ajustements devant la glace.
- Mmh… pourquoi tu n’as pas mis ton débardeur noir décolleté ?
- Parce que je dîne avec ses parents, et je ne veux pas qu’ils jugent dès le premier regard, donc ce sera neutre.
- Je ne dirai pas neutre, mais fraîche et mignonne ! L’encouragea Toya qui venait de faire son apparition dans l’entrebâillement de la porte.Deshi regarda son amie et avec un léger sourire, haussa les sourcils en faisant rouler ses yeux, une manière à elle de lui dire « Prends-le pour argent comptant, il n’est pas du genre à faire des compliments ».
Denchu sourit, jeta un coup d’œil à l’horloge murale et, réprimant une exclamation d’horreur, se précipita à l’extérieur en lançant un « On se voit demain au collège ! »Hors d’haleine, Denchu arriva devant la porte et reprit son souffle. Elle se recoiffa en vitesse, ajusta son pull et sonna.
Ryu lui ouvrit immédiatement :- Huit heures cinq ! Ca va, je n’ai attendu que cinq minutes derrière la porte.
- Ils l’ont remarqué ? Demanda-t-elle, inquiète.
- Non, ils sont partis faire des courses de dernière minute. En attendant, je t’offre un verre ? Jus de fruit, n’est-ce pas ?
- Oui, s’il te plaît.Denchu s’installa dans l’un des fauteuils confortable du salon et tendit ses mains sur ses cuisses. Elle ne savait pas trop pourquoi, mais elle était nerveuse à l’idée de voir les parents de Ryu. Et si elle leur faisait mauvaise impression ?
Heureusement, Ryu était là. Il revenait de la cuisine avec le verre de jus de fruits et une petite ombrelle comme dans les cocktails.
Il avait toujours été très attentionné et patient avec Denchu, et elle ne pouvait que le remercier. Ils trinquèrent ensemble, bras croisés et yeux dans les yeux, puis burent à leur soirée. Après avoir fini son verre, Denchu se sentit comateuse, elle voulu se lever pour se réveiller, mais ses jambes cédèrent contre sa volonté et elle s’affala dans le fauteuil. Après cela, trou noir…Lorsqu’elle se réveilla, tout était noir autour d’elle. Elle voulut se lever, mais elle se rendit compte qu’elle ne pouvait bouger ses mains.
Du bruit se faisait entendre. De l’eau qui coulait. Peu à peu, ses yeux s’habituèrent à l’obscurité et elle découvrit qu’elle était dans la chambre de Ryu, attachée aux barreaux du lit. Elle entendit vaguement Ryu dire quelque chose, puis sa phrase fut accompagnée de rires étouffés. Il n’était pas seul.
Denchu ne pensait qu’à une chose : s’enfuir. Elle tirait sur ses poignets et les faisaient bouger de gauche à droite. Les liens n’étaient pas très bien serrés, et à force de volonté, un lien se dénoua.
De sa main détachée, elle s’empressa de délier l’autre. Elle tremblait de tout son corps, et dut s’y reprendre à plusieurs fois pour enlever les nœuds.
Il ne lui restait maintenant plus que les pieds. Les voix se rapprochaient et s’entendaient plus distinctement.
Le pied gauche était libéré. Plus que le pied droit…- Hey… Elle se fait la malle !
Ryu accourut dans sa chambre et alluma la lumière. Il put découvrir Denchu en train de s’atteler à défaire le dernier lien qui la figeait au lit. Lorsqu’elle vit son expression, elle crut naïvement qu’il ne comprenait pas plus qu’elle ce qu’elle faisait là, dans cette position.
- Ryu, aide-moi…
Le jeune homme poussa du coude celui qui était à ses côtés et s’empara du lien de la cheville.
Denchu hoquetait, et pour couvrir sa honte, se cacha le visage dans ses mains. Elle sentit alors qu’il lui resserrait la corde autour du pied et qu’il allait en faire de même à l’autre. Alors, elle paniqua.- Qu’est-ce que tu fais ?!
- Je cherche à ce que tu tires le meilleur de l’amusement !
- Arrête ! Laisse-moi partir !! JE VAIS APPELER QUELQU’UN, ARRETE ! Hurla-t-elle en tirant sur sa cheville.
- Ah, oui, quelqu’un… Les voisins sont en vacances. Quant à mon père, il a été appelé en Angleterre, et ma mère et ma sœur sont parties le rejoindre pour la semaine… Je ne te l’avais pas dit ?Ryu n’eut pas l’occasion de se tourner pour admirer le visage effrayé de Denchu, car elle l’avait stoppée en lui balançant son coup de pied gauche au visage. Il s’effondra à terre et ne se releva pas de suite. S’étant aidée des hanches pour que son coup ait plus d’impact, Denchu se retrouva au sol, par-dessus Ryu, et dos à la porte. Elle avisa un miroir qu’elle tenta d’atteindre, mais les deux jeunes hommes qui avaient accompagné Ryu se jetèrent sur elle pour l’empêcher de fuir.
Elle se tourna à temps pour se protéger du premier, en lui administrant un coup bien placé, et dans l’élan, elle tendit le bras pour attraper le miroir qu’elle cassa à la tête du second. Ce dernier s’écarta à quelques mètres de Denchu en hurlant et se tenant son visage ensanglanté.
Lorsque le premier garçon se releva, une de ses mains tenant encore son bas ventre, et qu’il menaça de la frapper, elle choisit l’un des bouts les plus pointus et aiguisés du miroir cassé et le brandit sous la gorge de Ryu qui commençait à émerger.- Un pas de plus, et je lui tranche la gorge ! Menaça-t-elle.
Il la scrutait d’un air mauvais, et sans le lâcher du regard, elle coupa en vitesse le dernier lien qui l’attachait encore au lit.
Elle se leva et tenait si fort le bout de verre en évidence devant sa poitrine que du sang perlait le long de ses côtés tranchants, puis elle s’avança près de la porte pour sortir, mais c’était sans compter la réaction de Ryu qui se jeta sur elle pour lui enserrer le cou.- Alors, là ma belle, maintenant que tu nous as bien excités, tu vas rester là pour nous tenir compagnie !
Denchu leva sa main pour frapper de son arme improvisée le bras du jeune homme, mais un des invités intercepta son geste en lui maintenant fermement et en hauteur le bras meurtrier.
Ils se débattirent dans l'intention de la ramener sur le lit et de l’y attacher définitivement. L’un d’entre eux arma son bras pour en frapper la tête de Denchu et ainsi l’assommer, afin que ses attaques acérées cessent, mais Ryu l’arrêta :- Non Takeru ! Surtout pas… Je veux pouvoir lire l’effroi dans ses yeux quand elle se donnera à nous.
Ce fut le déclic, le moment où il se plaisait à penser à ce qu’il allait faire, Ryu avait relâché son étreinte et Denchu s’était emparée de cet instant.
Elle avait réussi à le faire basculer, et poussa d’un côté l’un des garçons, donna un de ses plus puissants coups de poing à l’autre qui avait attrapé son pull, et qui, sous la puissance du coup porté, bascula en arrière, en déchirant le pull auquel il s’était rattaché.
La porte n’était plus qu’à quelques mètres, elle n’avait plus qu’à l’ouvrir, mais elle se sentit happée.- NAAAAAAN !!! RYU, NAAAN !! Ryu…
~*~Ryu… Ryu… Ryu… Les mots résonnaient encore dans la tête de Takeshi. Lorsque les contours de la cuisine lui apparaissaient à nouveau, il se retrouva agenouillé face à Denchu les yeux vides et emplis de larmes, les mains toujours sur ses tempes. Il la regarda avec un air de désolation et il implorait son pardon.
Lorsque Denchu revint à elle son regard se transforma aussitôt, il passa de la surprise mêlée d’effroi à la colère pour ne pas dire la haine. Elle se recula vivement et se releva pour courir dans sa chambre.
Takeshi ne l’avait pas retenu. Il pensait que l’indifférence était la pire des attitudes qu’il pouvait supporter de Denchu, mais après avoir vu ses yeux emplis de colère, il devait repenser son jugement, et à ce moment précis, il ne pouvait pas penser.
Une seule question lui venait à l’esprit, et il devait connaître la réponse. Il se dirigea d’un pas décidé dans la chambre qu’il partageait avec Toya, ouvrit brusquement la porte et alluma la lumière, ce qui tira le jeune homme endormi de son sommeil.- Mais qu’est-ce tu fous… Demanda Toya, la voix étouffée par l’oreiller.
- Il va falloir que tu m’expliques tout maintenant ! Répondit-il distinctement.
- Quoi… T’as pas compris les maths ?
- Je sais ce qu’a fait Ryu à Denchu, je sais ce qu’il s’est passé ! Commença-t-il à s’emporter.Toya se redressa aussitôt. Il avait la nette intuition qu’il n’avait pas eu cette information de la manière la plus douce qu’il soit.
Takeshi prit la chaise du bureau et s’assit face à Toya qui était maintenant parfaitement éveillé. Il lui raconta ce qu’il avait vu, mais il voulait surtout savoir ce les informations qu’il n’avait pas.- Est-ce qu’il l’a…
- Non. Elle a réussi à s’échapper. Mais elle était dans un sale état lorsqu’elle est rentrée. Elle ne voulait même pas que je l’approche. Deshi s’est occupée d’elle, l’a changée, lui a lavé le visage et l’a couchée.
- Vous n’avez pas prévenu la police ?! S’insurgeait Takeshi.
- Kaho devait le faire… mais le fait que le commissaire soit le père de ce salopard, ça n’a pas arrangé les choses. Je ne sais pas si c’est elle qui a obtenu d’eux qu’ils restent plus longtemps en Angleterre.
- Je vais le tuer… Il n’aurait jamais dû rentrer d’Angleterre.
- Non, je ne te le conseille pas… D’une part parce que tu n’as plus ton pouvoir – oui, tu n’es pas le seul à l’avoir remarqué – et d’autre part, tu n’es pas très bien vu par la police, et ça ne nous servirait pas à grand-chose de te voir derrière les barreaux.
- Mais il a faillit la violer !
- Et c’est désolant à dire, mais il ne l’a pas fait, c’est sa parole contre la sienne… Et pire que tout : il a des relations…Voyant qu’il tournait en rond, Takeshi décida d’aller se coucher. Il ne savait pas encore quel comportement il aurait le lendemain, et il s’en voulait d’avoir fouillé un passé ne lui appartenant pas…
~*~
Takeshi se leva plus tôt que d’habitude le lendemain. Comme à son habitude, il prépara le petit déjeuner mais n’attendit pas que tout le monde soit prêt pour partir.
Il arriva devant l’école, mais malheureusement pour lui, les portes étaient fermées. Il espérait ne pas attendre trop longtemps car il ne voulait croiser aucun des pensionnaires, mais aussi, car le froid de février était pénétrant.
Il attendit encore dix minutes avant que quelqu’un n’arrive. Il espérait fortement que ce soit le surveillant qui venait pour ouvrir les portes, mais ce fut quelqu’un d’autre… quelqu’un qu’il n’espérait pas voir…- Tiens, tiens…
- Michiru ? Qu’est-ce que tu fais là ?
- La même chose que toi, je pense, je vais au lycée… Je vois que tu n’as pas trop réfléchi à ma proposition, alors j’ai ici quelque chose qui pourrait t’intéresser, voire même te faire changer d’avis.
- Qu’est-ce que tu me veux à la fin ?! Commençait à s’emporter Takeshi.
- Que tu retournes à mes côtés, que nous nous remettions ensemble… Oh, ne te plains pas de ma demande. Il y a beaucoup de garçons qui mourraient d’envie d’être à ta place…Michiru lui tendait son portable pendant qu’elle parlait. Lorsque Takeshi fut assez près pour pouvoir en visionner le contenu, elle déclencha le mode lecture. Et ce qu’il vit ébranla ses certitudes et lui fit redouter l’avenir de la vie des pensionnaires…
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