Fanfiction
- 3ème Saison « Les jeux sont faits » |
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14- La magie de la musique
Les évènements du mois de Novembre avaient été fortement discutés, puis toujours sans réponses à leurs hypothèses, les dirent se turent, tout comme l’incident qui avait bousculé le collège. D’ailleurs, Kasumi, moins sujette aux remarques sur son état de santé, avait repris l’association photo et la menait d’une main de fer. Il était maintenant décidé de faire une exposition pour Noël dans le conservatoire de musique et il lui fallait de la main d’œuvre, mais à l’approche des examens blancs, la bonne volonté de chacun était peu encline à faire surface.
- Oh non… Gémit Deshi.
- Quoi ? S’intéressa vaguement Toya.
- Demain… En sciences… On a terminé un chapitre et on est susceptible d’avoir une interro surprise. Je n’ai pas révisé du week-end, il est tard !
- Ah cool, moi non plus. Je réviserai en permanence demain et tu me donneras les questions en sortant du TP…
- Je suis vraiment pas dans l’ambiance exam… On a trop de responsabilités avec la pension à gérer et tout ce qui nous tombe sur les bras.
- Alors imagine entamer une relation amoureuse… Répondit Toya, même si Deshi ne s’adressait pas à lui.
- Tu veux parler de Takeshi… ?
- Entre autres.
- C’est son problème, ça le regarde et il délaisse certaines de ses corvées, alors l’un dans l’autre… Mais il est vraiment stupide ce prof de nous faire des contrôles alors que nous sommes en demi groupe !! S’insurgeait Deshi plus elle regardait le planning de la semaine.
- Tu parles, tu l’admires, ce prof ! Moi je trouve ça équitable : vous, vous sortez une heure plus tôt, et nous, nous pouvons réviser en permanence.
- Vivement le deuxième semestre que ça change… Je réviserai demain midi, dit Deshi plus pour elle-même, sans prêter attention à l’intervention de Toya.
- Ca veut dire que tu finis à quinze heures trente demain ? S’enquit Kasumi qui décida d’entrer dans la conversation.
- Oui… Répondit-elle vaguement en feuilletant les pages que comptait le chapitre.
- Ah cool ! Tu pourras venir m’aider à installer quelques trucs au conservatoire ? Tu n’auras pas grand-chose à faire, la rassura Kasumi en voyant poindre l’expression de désaccord. Juste à installer quelques panneaux. On finira tous plus tôt !
- Bon… C’est d’accord… Ca promet d’être une grande journée, souffla-t-elle pour réponse.Et effectivement, le lendemain, Deshi eut un contrôle de sciences, et, grande âme, elle donna les questions à Toya en intercours, que celui-ci s’empressa de noter tout en cherchant les réponses appropriées.
- Il risque d’en changer certaines…
- Oui, mais il ne fera pas comme les contrôles de classe… Ca lui demanderait trop de travail de faire deux questionnaires, répondit Toya.
- Il a fait deux questionnaires différents pour les voisins de TP.
- Et tu m’as donné le bon, au moins ?! S’inquiétait Toya.
- Remercie-moi déjà de t’avoir donné le genre de questions qu’il va poser. En plus, tu as eu le temps de réviser en permanence !
- Mais je comptais sur toi…
- Tiens, c’est nouveau ? Et puis non, tu n’as aucune excuse, ce n’est pas la première fois qu’on a ce prof. Bon, je te laisse, je vais aider Kasumi.Sur ce, Deshi laissa Toya aux mains de monsieur Ruya, leur professeur de Sciences, et s’en fut à l’entrée du lycée où Kasumi l’attendait déjà.
- Tu verras, ça ne sera pas long ! L’accueillit celle-ci pour la rassurer.
~*~
A dix sept heures trente, Yuko avait son cours de patin à glace. Bien qu’une démonstration soit montrée mi-décembre, elle n’y allait pas pour répéter les danses qu’elle trouvait stupides, mais pour pratiquer le sport qu’elle aimait par-dessus tout.
Malgré cela, le cœur n’y était pas car au lieu du calme habituel, les musiques se jouaient inlassablement pour les répétitions, et les Alexandries et autres Alexandras agaçaient au plus haut point la jeune fille.
Au bout de trois quarts d’heure sur l’heure et demie de cours, Yuko décida d’y couper court et glissa vers les sorties aménagées de la patinoire. En relevant la tête à quelques mètres de la sortie, son cœur se retourna dans sa poitrine. Face à elle, se tenait Yugo, accoudé contre le rebord la fixant intensément, sans qu’elle puisse déterminer son humeur en l’absence d’expression de son visage. Ne calculant plus sa vitesse, elle manqua de trébucher, mais le jeune homme lui porta secours.- De… Que… qu’est ce que tu fais là ? Lui demanda-t-elle d’un ton inquisiteur.
- Un merci est plus approprié pour pareille occasion, la corrigea-t-il non sans une pointe d’irritation.Yuko ouvrit la bouche pour répliquer, mais elle se ravisa. Oui, je te remercie de m’avoir perturbée… Elle ne pouvait pas rétorquer, ou ce faisant, elle dévoilerait une position de faiblesse. Après avoir tourné sept fois sa langue dans sa bouche, comme le lui avait appris sa mère, elle le remercia dans un murmure à peine audible.
- Et pour répondre à ta première question, je suis ici car nous devons travailler en binôme en français pour la pièce de théâtre, et…
- Pourquoi ça ?! Le coupa-t-elle, visiblement choquée par telle nouvelle.
- Parce que tu n’as pas choisi ton partenaire, comme elle nous l’avait demandé et que moi non plus. Elle nous a donc regroupés.
- Et si je ne veux pas ?
- C’est trop tard, les autres groupes sont déjà constitués. Nous devons jouer Phèdre, la scène de…
- On n’a même pas le choix de l’ouvrage, ni de la scène ?
- … Tu réponds toujours par des questions ? Souffla Yugo, exaspéré.
- Je me méfie…
- De quoi ?
- Je ne te fais pas spécialement confiance et je trouve ça injuste de tout nous imposer de A à Z.
- J’avais bien remarqué que tu ne me portais pas en grande estime. Toujours est-il que nous devons jouer l’acte deux scène V où Phèdre avoue son amour à Hippolyte.
- Et bien sûr, je joue Phèdre, la passionnée et toi Hippolyte la victime…
- Jusque là, je trouvais ça logique…
- Et comment as-tu su où me trouver ? Enchaîna Yuko, sans prêter attention à l’agacement de Yugo.
- Il n’y a pas que toi qui observe, répondit-il simplement.
- Je ne discute pas plus… de toute façon tout est déjà réglé et je n’ai pas mon mot à dire si j’ai bien compris…
- Oui, tu as bien compris. Je te raccompagne ?
- Merci, je connais la sortie, s’énerva-t-elle sans grandes raisons apparentes.
- J’aurai au moins réussi à te faire dire « merci ».Yugo fit demi-tour et quitta la patinoire d’une démarche assurée, ce qui énerva encore plus la jeune fille. Elle défit rageusement ses patins à glace et les recouvrit du protège lame pour les redonner au guichet et récupérer ainsi ses chaussures, puis elle prit la route.
A peine avait-elle fait cinq mètres qu’elle sursauta à nouveau. Yugo marchait à une dizaine de mètres devant elle. Elle avait bien mis dix minutes à défaire ses patins et mettre ses chaussures et elle ne voulait pas croire qu’il ait mis tout ce temps pour faire vingt mètres. Pour éviter de l’avoir en ligne de mir, elle aurait très bien pu couper par l’arrière de la patinoire et prendre un autre chemin qui la rallongerait, mais elle était dans un tel état de fureur qu’il fallait que ça sorte. Elle le rattrapa et lui saisit le bras. Il ne cilla pas, ni même ne fut étonné.- Je peux savoir à quoi tu joues ? Demandait-elle entre ses dents. Pourquoi m’as-tu attendue ?
- Je ne t’ai pas attendue… J’ai croisé une bande d’ami dehors et j’ai discuté avec eux, c’est interdit ? Répondit-il en se débarrassant de son étreinte douloureuse.Yuko, encore une fois prise de court ne répondit pas et le dépassa à vive allure pour s’en éloigner le plus vite possible. Derrière elle, Yugo parut amusé, mais le sourire qui se dessinait n’était pas celui que l’on prêtait à la distraction. Il tendait plutôt vers le sadisme.
~*~
Kasumi était affairée avec Deshi à monter le stand parapluie et installer les spots qui jetteraient leurs lumières sur les photos. Ils en étaient aux derniers réglages :
- C’est bon, on lâche tout ! Dit Kasumi en ayant finit de serrer un écrou.
- Tu es sûre ? Demanda Deshi en sortant la tête de l’autre côté du stand.
- Tout est bien branché de ton côté ? S’assura la rouquine.
- Oui, j’ai fait comme tu m’as demandée.
- Alors oui, lâche tout.Kasumi avait raison, le matériel tenait bon et les spots ne vacillaient pas. La jeune fille commençait à rapatrier les affaires, la mise en place était terminée, il leur avait fallut pas loin de trois heures pour aménager tout l’espace et l’aide de Deshi n’avait pas été vaine. En jetant un coup d’œil près de son aînée, elle se plaisait à la voir regarder attentivement ses photos. A la vue d’un sourire moqueur, elle devinait la photo sur laquelle elle était. Il s’agissait tout simplement du montage angélique qu’elle avait réalisé, tout à ses débuts, mettant en scène Denchu, peu vêtue, protégeant Takeshi, replié sur lui. Seule les grandes ailes d’anges habillaient l’image, et il était difficile de voir le caleçon que portait le garçon.
Depuis, Kasumi s’était améliorée, et l’évolution se suivait à travers les clichés pour l’œil expert : la prise en compte de la luminosité pour s’en faire un allié et non plus un désagrément, la fixation de l’image mobile, le caractère poignant d’une nature figée, tout se réglait jusqu’au pigment de couleur d’un papillon qui venait bouleverser tout un équilibre naturel harmonieux.- Allez, on y va ? Tu pourras les regarder à nouveau le jour de l’expo, la lumière sera mieux.
- Oui, le prix aussi, d’ailleurs ! Répondit Deshi qui se détachait du cliché d’un feu happé par le vent, lui conférant d’étranges silhouettes dans les flammes.
- Oh ! C’est pas cinq euros qui vont t’arrêter !
- Non, mais autant en profiter quand c’est gratuit !
- Ha, ha oui, c’est sûr, mais l’association ne serait pas rentable ! Bref, nous on doit repasser par l’école pour déposer notre matériel dans le local. Je vous donne votre permission pour rentrer à vos quartiers, soldat !
- Vous êtes trop bon, mon lieutenant !Kasumi suivit Ran qui avait déjà repris les sacoches vides. Satoshi, qui descendait de l’étage supérieur, s’occupant principalement de la mise en place des photos, remarqua que le timing était parfait. Il rejoignit Kasumi et lui porta son sac. Deshi fut agréablement surprise par cette attention, et à en juger par les rougeurs sur les joues de Kasumi, elle aussi, mais ces rares bonnes actions n’étaient que ponctuelles.
Deshi se mit à suivre le groupe lorsqu’elle remarqua une porte entrouverte sur sa gauche qu’elle entreprit de fermer, mais la curiosité de savoir ce qu’il se cachait derrière pris le dessus et elle rouvrit la porte, sur la salle sombre maintenant balayée d’un trait de lumière.
La salle était grande. La porte qu’elle avait ouverte sur sa longueur n’était pas l’unique qui desservait la pièce. Sur la gauche, des chaises étaient entreposées sur quelques tables blanches et simples. Le paravent de bois qui pouvait couper la pièce en deux était ouvert comme pour donner plus de grandeur à une salle presque entièrement vide. Sur sa droite tout au bout se dressait une petite estrade recouverte de moquette pourpre, et dessus, deux pianos : l’un à queue, et l’autre droit moderne.
La tentation était trop grande. Deshi se dirigeait maintenant vers le piano à queue. Contre le mur, elle devinait une harpe sous une housse. Elle avait toujours rêvé d’en faire, mais sa mère lui avait préféré le piano. Qu’il en soit ainsi ! Ce soir, Deshi ferait courir ses doigts sur le clavier blanc taché de trente six touches noires.~*~
Kasumi venait de rentrer avec Satoshi. Ils étaient tous deux hilares en se racontant les nombreux problèmes et autres dysfonctionnements que leur avait causé la mise en place des éléments de l’exposition. Cependant, ils espéraient un réel succès pour cette entreprise, ce qui permettrait de donner un véritable statut de l’association et qu’on ne la voit plus comme un local puisant sans arrêt dans la caisse associative sans rien avoir en retour, excepté la maigre cotisation des membres. Au rez-de-chaussée étaient uniquement présents Haneru et Toya, regardant la télévision. Les autres devaient être à l’étage, vaquant à leurs occupations favorites comme la lecture, le dessin, la navigation Internet, ou tout simplement en train de plancher sur leurs devoirs.
- Eh bien ! Rouge comme vous êtes, ça ne m’aurait pas étonné que la police vous arrête pour un contrôle d’alcoolémie… Les salua Haneru.
- Mais non, ce sont des anecdotes qui nous font rire, répondit Satoshi en balayant sa main pour qu’il oublie cette mauvaise rumeur.
- Hey, De… commença Toya, mais il s’arrêta dans son exclamation. Elle est où Deshi ?
- Ben… Elle n’est pas rentrée ? Reprit Kasumi.
- Non, elle était censée rentrer avec vous, n’est-ce pas ? S’assura le jeune homme.
- En fait non. Nous nous sommes séparés à la sortie du conservatoire car mon équipe devait ramener le matériel au local du collège. Elle, elle devait… enfin si elle le souhaitait, elle pouvait rentrer directement à la pension. C’est pour ça que je ne m’en suis pas occupée.
- Bon, je vais faire un tour dehors, je vais voir si je peux la trouver en chemin, annonça Toya en prenant son blouson de moto.
- Tu sais, elle a peut-être croisé des amis, ou je sais pas, pris son temps, partie acheter un truc… Lui suggéra Haneru.
- En temps normal… c'est-à-dire il y a quatre, cinq ans, ça ne m’aurait pas inquiété. Et puis, si elle avait décidé de rentrer plus tard, elle nous aurait appelés.
- Tu veux que je t’accompagne ?
- Non, je vais y aller seul pour ne pas trop attirer l’attention. S’il y a un souci, je t’appelle, et tu préviens les autres. N’oubliez pas Yumi non plus, si jamais…
- Ok, on attend ton coup de fil.Toya acquiesça. Il enfila son casque, mit ses gants et fila dans le garage. Il n’avait pas fait de moto depuis cet été, mais pas un grain de poussière n’était dessus. Outre le fait qu’elle était constamment protégée d’un drap, Toya n’hésitait pas à polir la carrosserie ou ajouter des éléments techniques dessus, ce qui l’avait entretenue tout l’automne.
Dehors, il faisait déjà nuit, et il tombait une bruine paisible, invisible et silencieuse, dont seule une odeur de terre mouillée signalait la présence
La moto démarra en trombe et son moteur faisait vibrer toute la pension. Il accéléra une fois sorti du garage, et les graviers qui firent dévier la trajectoire des roues arrières n’eurent pas raison de la moto qui les propulsa sur la pelouse.~*~
Après avoir exploré le recueil des musiques de Disney, achevant tout juste la Fantaisie en ré mineure de Mozart – morceau que Deshi affectionnait particulièrement pour sa première partie triste et rapide, parcourant tous les octaves du piano – et épuisé l’ensemble de ses connaissances musicales sans partition, elle se plongea dans un quatre mains seule avant de repartir pour la pension, à regret.
La partie qu’elle devait jouer à l’époque était celle de l’accompagnement : elle était les deux mains gauche, aussi, le morceau, entendu par un spectateur à l’oreille peu aguerrie ne présentait aucune harmonie.
Cela l’importait peu car elle aimait à rejouer les accords joyeux et compliqués s’enchaînant à une vitesse folle de « Tea for two ». La phase d’introduction terminée, elle s’apprêtait à jouer le cœur du morceau, reconnaissable par le jeu des mains droites, et à son étonnement, la mélodie manquante se fit entendre, comme si elle sortait de sa tête.
Levant les yeux du clavier, elle vit Toya assis au piano droit et concentré sur le rythme à suivre. Comment connaît-il ce morceau ? Elle faillit s’arrêter de jouer, et ça s’était entendu dans son rythme qui avait ralenti et avait eu du mal à reprendre son tempo régulier, mais elle ne voulait pas gâcher cet instant, et redoubla d’effort pour que cet imperceptible trouble se fasse oublier. Je l’avais préparée avec Ariks il y a trois ans… Le morceau touchait à sa fin et les répliques entre mains gauches et mains droites devaient se faire rapidement, sur un ton narquois. Il ne m’a jamais entendu… Je répétais chez moi ! Enfin, l’accord final, qui décidait de la perfection d’ensemble du morceau, se prononça.- Ca va… Tu n’as pas trop perdu la main, mais il faudrait que tu places mieux la pédale douce. Elle a tendance à traîner, lui dit Toya sans lever le regard, en remettant la feutrine.
- Où l’as-tu appris ? Ce morceau… ? Demanda Deshi, encore assise, abasourdie, les mains sur ses genoux.
- Je l’avais entendu à la fête de la musique il y a trois ans, et je me suis entraîné à le rejouer. Ma mère le jouait aussi et elle répétait la main droite, déclara-t-il le plus naturellement du monde en baissant la protection.
- Et comment tu m’as trouvée ?
- Comme je te l’ai dis, tu te débrouilles encore…
- Non, je veux dire, comment étais-tu sûr de me trouver ici ?
- La lumière. Les fenêtres derrière toi débouchent sur la rue. En te voyant de dos, j’ai su que c’était toi. Bon, on y va, le dîner ne va pas tarder à être servi.Deshi obéit et regroupa ses affaires, ne sachant s’il fallait être gênée, heureuse ou honteuse. Vraiment, elle ne savait quoi dire, et serait tendue sur le chemin du retour si Toya décidait de ne pas parler. Du coin de l’œil, elle le vit pianoter sur son portable et le mettre à son oreille :
- C’est bon, RAS. On arrive ! Et il raccrocha.
- Je vous ai inquiétés ? Demanda-t-elle d’une petite voix.Le jeune homme ne répondit pas. Il n’avait sûrement pas entendu, et Deshi se résolut à ne pas réitérer sa question. Il fouillait dans son sac à dos et en sortit un casque.
- Tiens, mets ça, et ferme bien ton manteau.
- On rentre à moto ?! Demanda précipitamment Deshi qui anticipait déjà la réponse ironique de Toya « Si tu veux, tu peux rentrer à pied… ».
- On rentrera plus vite, et c’est plus sûr.Avant de mettre le casque, Deshi se décida à reposer sa question, mais elle la tourna différemment :
- Je t’ai inquiété ?
- Tu peux t’accrocher à la selle, il y a des poignées, lui dit-il en enfourchant sa moto.En tournant la clé, il regarda Deshi pour la presser.
La jeune fille était sûre que Toya avait parfaitement entendu sa question et qu’il l’évitait. Elle suivit l’exemple du jeune homme, enfilant son casque et grimpant à califourchon derrière-lui, mais elle ne suivit pas sa requête. Elle fit glisser ses mains des reins jusqu’au ventre musclé de Toya, et les joignit en exerçant une pression pour se rapprocher de son corps et ne faire qu’un avec la moto.
Tous les motards se l’accordaient : c’était la meilleure posture à prendre car elle ne laissait aucun espace au vent, et empêchait de déséquilibrer les personnes, mais pour Deshi, c’était pour profiter au mieux de cet instant qui lui était donné, car personne n’était jamais monté avec Toya sur sa moto.
Après un instant d’hésitation où le trouble était passé dans ses yeux heureusement cachés du regard de Deshi, Toya releva la béquille et accéléra.A moto, la pension n’était qu’à dix minutes. Complètement protégée du vent, Deshi ressentait tout de même un frisson. Elle n’était pas habillée pour faire ce trajet, n’avait pas de gants et la chaleur du corps de Toya suffisait à peine.
Lasse, elle s’était complètement reposée sur lui, mais elle tremblait. Elle craignait avoir pris froid. Elle s’en voulait d’être dans cet état car elle ne pouvait profiter de ce moment où elle était tout contre celui qu’elle aimait.
Alors qu’ils revinrent à la maison en roulant au pas, Toya aida Deshi à descendre du véhicule. Elle tremblait et des chaussettes à son gilet, elle était mouillée.- J’ai froid… Dit Deshi en grelotant, les mains repliées sur ses bras.
- C’est la bruine. Ca pénètre le corps jusqu’à l’os. Tu aurais dû mieux te couvrir, lui fit remarquer Toya en frictionnant les épaules de la jeune fille.Depuis qu’elle avait partagé le morceau à quatre mains avec le jeune homme, tout lui semblait irréel. L’attitude protectrice du garçon, bien qu’elle gardait des intonations de reproche, la mettait mal à l’aise : elle n’osait pas le défier, surenchérir, comme à son habitude ni même à croiser son regard.
- Ah, te voilà ! Les trouva Haneru. On s’inquiétait, Deshi.
- Oh !Ca répondait à sa première question. Deshi s’écarta de Toya pour suivre Haneru et se mettre à table. Elle fut accueillie par Satoshi et Kasumi qui lui demandèrent où elle était, puis Denchu et Kima, qui venaient tout juste d’être au courant la réprimandèrent presque de les avoir inquiétées.
- Elle était au conservatoire et jouait tranquillement du piano quand je suis arrivé, leur expliqua Toya en arrivant dans la salle à manger à son tour, après avoir accroché son blouson au porte manteau.
- Les salles n’étaient pas fermées ? Demanda Satoshi.
- Apparemment non, répondit Kasumi à la place de Deshi.Le repas se poursuivit comme à son habitude, entre de nombreuses conversations. Deshi était étonnement calme, ce qui intrigua Denchu qui lui donna un coup de coude :
- Toi, tu n’as pas d’appétit, et tu ne parles pas… Tu nous couves quelque chose !
- Je crois que j’ai attrapé un coup de froid… Répondit Deshi d’une voix faible.
- Un coup de soleil, un coup de je t’aime ! Enchaîna Kima.Deshi rougit aussitôt et leur répondit juste un petit « je vous raconterai après », et les filles se réjouirent aussitôt : Kima frappait des mains à toute vitesse et Denchu pressa le bras de son amie, ce qui intrigua le reste de la tablée qui se retourna vers eux, Toya regardant profondément Deshi qui détourna la tête.
- Qu’est-ce qu’il s’est passé, demanda Haneru.
- Mais ça ne te regarde pas ! Le reprit Yuko en laissant tomber sa main sur sa table pour accompagner son mécontentement.
- Je disais à Kima qu’on voyait le péché véniel de Denchu et Takeshi dans la galerie de Kasumi, répondit Deshi pour reprendre contenance.Denchu, encore sous l’effet de l’annonce future de Deshi entre fille mit un certain temps avant de comprendre la phrase qu’elle venait de lancer, l’impliquant elle et Takeshi. Elle allait le lui faire remarquer lorsque Takeshi entra.
Ils en étaient au dessert.- Ah…Ben, désolés, on ne savait pas que tu viendrais dîner, lui dit Kima en le voyant entrer l’air morne.
- Non, non… c’est pas grave. Bonsoir tout le monde ! S’obligea-t-il à sourire. Toya, on pourra parler, ce soir ?
- De… de quoi !?Takeshi ne répondit pas à sa question et à son regard insistant, Toya comprit qu’il ne s’agissait pas de son agissement au conservatoire, mais d’un problème qui tourmentait son ami.
~*~
Le repas s’était déroulé dans la bonne humeur : Satoshi et Kasumi l’avaient animé en racontant leurs exploits pour l’installation de la galerie et leurs espérances.
Il y avait également eu de l’agitation dans les chambres des filles : Denchu, Deshi et Kima s’étaient réunies dans la chambre que les deux amies partageait pour que celle-ci leur explique ce qu’il s’était passé de A à Z.
Lorsqu’elle eut finit son histoire en n’omettant aucun détail, Kima ne put s’empêcher de lui reprocher son attitude :- Mais enfin ! Vous étiez tous les deux et il était… comment dire… Consentant !! Pourquoi tu n’en as pas profité ?!
- Mais je ne pouvais pas ! Tout me montait à la tête, je sentais à peine ce que je faisais et ça m’intimidait horriblement. Je ne savais vraiment pas quoi faire, quelle attitude adopter, se défendit Deshi.
- Je te comprends… Tu as perdu tes moyens et tu as pris peur de son attitude, tu t’es sentie sans défense, la soutenait Denchu.
- Oui et non… on ne peut pas dire que j’avais « peur », mais je ne me sentais pas bien. Et je m’en veux ! Une occasion comme celle-là, ça…
- Se reproduira, la coupa Kima. S’il l’a fait une fois, il recommencera, c’est sûr.
- Mais, quand tu essuies une sorte de refus, tu ne t’aventures plus sur le terrain ! Rétorqua la jeune fille.
- Sauf s’il tient à toi ! Regarde Takeshi ! Lui prouva Kima.Denchu détourna le regard et Kima comprit son erreur. Deshi rattrapa du mieux qu’elle le put, mais ça ne changea pas le visage fermé de Denchu.
Kima se retira de la chambre pour rejoindre la sienne et lorsqu’elle y fut parvenue, elle retrouva Haneru, torse nu en pantalon, cherchant quelques affaires dans l’armoire. Sans se retourner, il s’expliqua avant que la jeune fille n’émette d’objections :- Je cherche juste des draps et j’y vais.
- Tu peux rester…Une housse de drap dans les mains, Haneru se retourna pour regarder Kima, l’air hébété. Elle, ne le regardait pas. Elle fixait le sol et faisait tourner son pied droit comme pour aplatir une motte de terre.
- Ca ne te dérange pas, tu es sure… ?
- Non. Ta présence me manque un peu, finit-elle par avouer.Haneru remit les draps en place et partit dans la salle de bain pour se changer. Kima prit aussitôt place dans le lit, se tourna sur le côté et ferma les yeux pour ne pas avoir à le regarder ni à lui parler lorsqu’il rentrerait pour se coucher. Cela faisait maintenant un mois qu’elle sortait avec Oriba, et plus ça allait, plus elle méprisait l’attitude violente du garçon et regrettait la douceur d’Haneru.
Dans la chambre des garçons, il y avait moins d’agitation, mais ce n’est pas pour autant qu’ils dormaient : Takeshi se confiait à Toya sur un sujet épineux.
- Je crois que j’ai fait une connerie en sortant avec Michiru, commença-t-il.
- Ah… Si ce n’était qu’une erreur, répondit Toya.
- Toya, s’il te plaît…
- Excuse-moi, vieille habitude. Continue, je t’en prie.
- Michiru est adorable, le problème n’est pas là. Enfin, c’est une fille…
- Oui, jusque là, il n’y a pas de doute.
- Et en allant plus loin avec elle, enfin… elle commence à avoir des caprices… Dit Takeshi d’un ton las, arrêtant son discours quelque temps.
- Comme ? L’encouragea Toya.
- Elle ne veut plus que je vous voie.
- Co… comment ça ?!
- Elle vous trouve désagréable. En même temps, ce n’est pas faux, vous la traitez comme une étrangère, Denchu la regarde de haut, vous lui dites rarement bonjour. Elle n’a pas l’impression d’être la bienvenue, et à chaque fois qu’elle me voit arriver chez elle, elle voit que je ne vais pas bien. Elle me remonte le moral, mais quand je repars de chez elle, ben je déprime à nouveau.
- Elle est gonflée celle-là ! Et qu’est-ce que tu vas faire ?
- C’est que… je ne veux pas la perdre.
- Pas la perdre ?! Et nous ! Attends, nous formons une sorte de famille ! Tu ne peux pas la laisser faire. On a une…
- Mission, je sais ! Vous n’avez que ce mot là à la bouche ! S’insurgeait Takeshi. Toya, je l’aime, et la seule chose qu’elle me demande, je ne peux pas la lui accorder !
- Tu ne l’aimes pas. Elle t’a tendu la main à une période où tu étais désespéré à cause de l’attitude de Denchu. Je sais ce que tu as ressenti à l’époque où elle s’est fermée. Tu croyais que tu pouvais l’aimer librement et qu’elle aussi, mais tu ne pouvais pas savoir que tu rouvrirais une cicatrice du passé.
- Laquelle ?!!
- Je sui sincèrement navré, mais je ne peux pas te le dire. C’est son jardin secret, sa dignité, je ne peux pas étaler ça. Le regard des autres change alors qu’elle n’y est pour rien et ça lui est insupportable.
- Comment pourrai-je éviter de refaire une erreur si je ne connais pas son origine ? Vous me demandez de marcher sur des œufs. Pourquoi ne me fait-elle pas confiance ? J’ai besoin de quelqu’un qui me fasse confiance. Michiru me donne toute sa confiance et son amour est sans limite, je veux lui en rendre autant.
- Ne crois pas que tu lui es redevable. Un couple, ce sont des choix à deux, ok. Mais ce n’est pas parce qu’elle te donne beaucoup qu’il faut lui en rendre autant. Donne ce que tu veux, ce n’est pas une obligation. Ce qu’elle te demande, c’est bien plus que ce qu’elle t’a donné. Car pour l’instant tout ce qu'elle a réussi à faire, c’est te mettre à dos une partie de la pension.Takeshi regardait Toya, le souffle coupé. Il voulait lui hurler que lui aussi aimerait un peu de repos, que Denchu n’était pas la seule à avoir souffert dans l’histoire, mais il ne le pouvait pas. Quel degré de souffrance avait-elle connu ? Il n’en savait rien et préféra se taire à ce sujet. Il lança néanmoins un dernier assaut.
- Et toi, tu sais quel était l’objet de ta souffrance et qui en était l’origine. Pourquoi te fermes-tu toujours ?
- Je ne vois pas de quoi tu parles
- Toya… tu ne crois pas que ça pourrait te soulager de parler toi aussi ?Toya inspira. Il cala plus profondément son dos dans l’oreiller en fixant le mur.
- J’ai peur… de ce qui pourrait lui arriver. De ne pas savoir la protéger, qu’elle fasse quelque chose d’inconscient pour moi.
- C’est une fausse excuse car c’est déjà le cas, et pour la majorité d’entre nous. Tout ce que tu risques maintenant, avec ton attitude, c’est de la perdre.
- Je ne veux pas la décevoir, c’est tout. C’est là que je risque réellement de la perdre.
- Et pourquoi tu ne lui dis pas ?
- J’ai essayé… ce soir. Elle m’évitait. Et c’est là que j’ai vu que mon comportement ne collait pas. En étant ainsi, elle ne peut plus se raccrocher à moi. Il ne faut pas que j’aie de sentiments sinon, je suis vulnérable. Elle le sent, et je sais qu’elle n’aime pas ça.Takeshi ne dit rien, mais secoua la tête en signe de protestation. Toya se releva et s’empressa de se justifier :
- De toutes les personnes avec qui elle est sortie, elle est restée tout au plus un mois, car le comportement du gars qu’elle avait aimé avant de sortir avec n’était qu’une façade, et ça le changeait du tout au tout. J’aimerai changer, mais je ne peux pas, car c’est comme ça qu’elle m’a connu et qu’elle m’accepte. Elle m’idéalise trop… et c’est idiot et présomptueux à dire, mais je veux que la situation reste ainsi. Rester une idole…
- Tu es pitoyable…Sans autre explication, Takeshi souleva sa couette et éteignit la lumière pour se coucher. Celle de la lune continuait à percer la pénombre de la chambre. Takeshi tournait le dos à Toya qui resta longtemps assis, le dos courbé, les coudes sur ses jambes et sa tête entre ses mains. Pourquoi ai-je tout dit ? Il ne m'a pas compris. Tant que je gardais tout pour moi, j’étais sûr de l’attitude à adopter… Et maintenant…Perdu dans ses pensées sans direction, il s’endormit tard, lorsqu’elles n’étaient plus qu’un écho indistinct.
Noël approchait, le cadeau devait être d’utilité générale et il venait d’en rêver l’idée.
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