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12- Rancoeur et effarement

Le 31 octobre approchait. La date marquait le premier anniversaire de Yuko à la pension et il venait un lundi.
Malgré les évènements qui s’étaient produits deux jours plus tôt, chacun se mit à rechercher activement un cadeau sans provoquer le moindre doute chez la jeune fille qui allait bientôt avoir ses seize ans et le passait sous silence.
Avant d’aller faire les courses, Denchu dut rendre son petit frère à ses parents, ce qui ne se fit pas sans déchirement :

- S’il te plaît, Denchu, le week-end, encore ! Suppliait le petit garçon.
- Je suis désolée, mon amour, mais tu ne peux pas rester ici. Je dois rattraper des jours de cours, et je dois aller faire des courses…
- Mais je ne serai pas dans tes jambes, s’il-te-plaît…
- Kotori, j’ai dit non ! Tu reviendras une autre fois. Et puis toi aussi tu dois faire tes devoirs.
- ‘Sont faits, marmonnait Kotori. Et en plus, j’ai tout fait pour vous faciliter la tâche ! Et je n’ai pas été désagréable avec Toya ! Rajoutait-il.
- Je sais, mon cœur, je sais… Arrête de me regarder avec ces yeux là, se reprit Denchu. Maman et papa se sont mis d’accord sur le fait que tu ne restes que quelques jours, et ils ne voudront pas que tu restes plus longtemps.
- Qu’est-ce que t’en sais… T’as même pas essayé de les appeler !
- Ta chambre… Maman a appelé hier, et ta chambre n’est toujours pas rangée, je ne te félicite pas. D’ailleurs, j’espère que tu n’as pas dérangé la chambre de Yumi, Kasumi et Satoshi…

Kotori bouda encore un peu dans la matinée contre Denchu mais au moment de partir, après avoir dit au revoir à tout le monde – et particulièrement à Yumi, sa compagne de jeu – il explosa en larme dans les bras de sa grande sœur qui allait énormément lui manquer. Pour le rassurer, elle lui murmura alors :

- Ne t’en fait pas, je passerai à la maison, et tu pourras aussi revenir à la pension… Tu sais quoi… Deshi est triste car tu ne t’es pas beaucoup occupé d’elle…
- Ben… il – il y avait Yu – Yu… Sanglotait Kotori.
- Elle ne t’en veut pas, ne t’en fait pas, et c’est tant mieux que tu sois devenu ami avec Yumi, non ?
- O – oui, mais ça va être dur de la quitter aussi. C’était un bon copain.
- Copine. Bon allez, on va y aller, le bus arrive.

Denchu emmena Kotori au devant de la pension pour rejoindre l’arrêt de bus qui était à cinq minutes à pied, lorsque Yumi se précipita pour dire un dernier au revoir au petit garçon avec qui elle avait passé trois jours. Souriante, elle lui fit un petit bisou sur la joue qui devint sitôt rouge et tous ses soucis et sa tristesse semblait s’être évaporés ! Le garçon ne rechignait plus à suivre sa grande sœur, et l’idée même de ranger sa chambre ne lui était plus désagréable : il ne voyait que des avantages aux futures actions à mener.

~*~

En ayant revu sommairement les cours grâce aux notes – sommaires – prises par Soojin, Denchu arrivait à suivre le cours de mathématiques du lundi après-midi. La sonnerie s’était fait entendre pour la récréation, suivie d’une heure de sport et les élèves commencèrent à sortir de la classe en échangeant sur les évènements de vendredi, Michiru étant principalement entourée car c’était son père qui avait eu dans son bureau la jeune inconnue.
Takeshi, à sa demande, était restée près d’elle pour l’aider avec la foule de question. Denchu passa devant sans s’arrêter et se dirigea près de Kima et Deshi qui parlaient du programme de français pour le baccalauréat.
Le court quart d’heure de pause était déjà terminé et lorsque les filles se placèrent dans les rangs pour suivre le mouvement qui menait au gymnase, Kima renseigna Denchu de l’absence de son sac scolaire.

- Ah oui ! Merci… Il faut dire que j’étais tellement pressée de quitter la classe que je n’ai pris que mes affaires de sport.
- De rien, vérifie bien que tout est dedans !

Le long couloir de l’étage était vide et de nombreuses portes étaient fermées. Denchu espérait vivement que rien n’avait disparu de son sac étant donné qu’il restait encore du monde lorsqu’elle avait quitté la classe.
Son sac se trouvait exactement sur sa chaise, laissé tel qu’elle l’avait abandonné, mais au moment de rentrer, elle fut arrêtée par la vision qui s’offrait à elle, comme pétrifiée.
Michiru était adossée contre Takeshi et l’embrassait tandis que le garçon ne montrait aucun signe de résistance, ses bras entourant même la taille de la jeune fille.
Non…
Denchu resta quelques secondes sans bouger.
Non…
Michiru ouvrit un œil et lança un regard triomphant vers la jeune fille.

- NOOOOOOON !!

De rage, Denchu hurla, lança son sac de sport sur le couple, puis partit en courant. Takeshi, surprit, se défit de Michiru et tenta de rattraper Denchu. Michiru, cependant, le retint :

- Elle… elle va te faire mal.
- Non ne t’inquiète pas, je veux juste savoir ce qu’il lui prend…

Takeshi disparut dans le couloir laissant Michiru seule, un odieux sourire aux lèvres qu’elle tentait de faire disparaître en passant ses doigts sur sa bouche, mais elle éclata de rire face à la pitoyable prestation que lui avait offerte sa rivale. Elle se savait maintenant protégée par Takeshi et était parfaitement consciente de la baisse d’estime qu’il porterait désormais sur Denchu et son caractère électrique.

Denchu courait droit devant elle, sans s’arrêter. Son cœur la serrait. Pas parce qu’elle courait à en perdre haleine, mais parce qu’elle avait vu Takeshi, le garçon qui lui avait fait oublier son passé, le garçon qui lui avait redonné confiance, aux lèvres d’une autre, une autre qu’il connaissait à peine et si différente d’elle. Elle revoyait encore cette fille, cette peste lui lançant un regard de triomphe en lui dérobant le cœur et les lèvres de Takeshi.
Malgré elle, de grosses larmes coulaient sur ses joues et elle ne pouvait s’empêcher de se sentir terriblement désespérée.

Elle entendit alors derrière elle des bruits de pas et une voix familière :

- Denchu ! DENCHU, ATTENDS !!

Non. Elle ne voulait ni le voir ni même l’entendre. Elle ne voulait pas qu’il sache qu’elle pleurait, elle ne voulait pas qu’il sache qu’elle souffrait, mais elle avait couru depuis trop longtemps et n’avait pas la même endurance que lui.
Takeshi rattrapa son retard et agrippa son bras pour arrêter sa course. Denchu essayait de se débattre à l’aide des peu de forces qu’il lui restait, son visage caché, mais son bras était trop vigoureux pour qu’elle puisse s’en détacher.

- Non, lâche-moi ! Laisse-moi tranquille !!
- Ca suffit maintenant tes petites crises !! Qu’est-ce qu’il te prend ?! Denchu, regarde-moi !! La reprit-il en secouant son bras pour qu’elle se calme.

Denchu le fusilla d’un regard plein de haine et de colère malgré les quelques larmes qui subsistaient.

- Comment peux-tu… avec elle… La mission…
- Comment je peux quoi… ? Demanda-t-il avec agacement.

Denchu reprit son souffle et hurla :

- Comment peux-tu perdre ton temps avec cette traînée alors que les problèmes recommencent ?!
- Redis encore une fois quelque chose sur elle, et…
- Tu es le seul à ne pas la voir telle qu’elle est vraiment !

Takeshi se calma et relâcha le bras de la jeune fille.

- Ecoute Denchu. Je n’ai pas envie de me sacrifier corps et âme pour la mission. Je ne suis pas comme toi, mon objectif n’est pas de rester seul et hargneux toute ma vie.

Denchu sentit son cœur se serrer, tout son sang lui était monté à la tête et elle commençait à avoir des fourmillements dans les jambes.
Jamais, jamais il n’avait été aussi blessant envers elle. Et le pire, c’est qu’il y avait une part de vérité dans ses propos.
Takeshi savait qu’il avait été trop loin mais ne le regrettait pas. L’époque où il se retenait pour ne pas avoir à la blesser, pour ne pas à lui rappeler un passé qu’il ne connaissait pas, était révolue.
Denchu restait clouée devant lui, complètement dévastée. Ses larmes reprirent de plus belle.

- Ordure…

Ce fut le seul mot qui sortit de sa bouche. Elle tourna les talons, Takeshi mis sa main sur son épaule. Denchu sentit alors une haine indescriptible s’emparer d’elle. Elle se retourna et repoussa de toutes ses forces le garçon qui glissa dans les escaliers, et, n’ayant pas le temps de se rattraper à la rambarde à temps, dégringola les nombreuses marches.
Denchu qui s’était rendue compte de son erreur trop tard, s’était précipitée pour constater l’état du garçon. Arrivée à son niveau, elle vit un hématome qui se propageait sur sa tête et l’entendit murmurer :

- Ne t’approche plus de moi, sale furie…
- Qu’est ce qu’il se passe ici ?

Une surveillante était arrivée, alertée par le bruit des disputes et de la chute dans les escaliers. Au vue de Takeshi qui se relevait tant bien que mal sans détacher le regard de Denchu, elle cru bon de séparer les deux lycéens et envoya Denchu chez le directeur. Elle regarda ensuite Takeshi et constata de nombreuses traces de coups dus à la chute.

- Toi, va à l’infirmerie !

~*~

Le dîner, et accessoirement anniversaire de Yuko, fut particulièrement tendu. Denchu avait écopé de trois jours de sanctions, elle devait aider les femmes de ménage et débarrasser le self en plus d’assister à ses cours. Takeshi, lui, avait toujours les bleus sur son corps et son hématome avait enflé. Bien entendu, la rumeur s’était amplifiée et Michiru s’était fait une joie de clamer haut et fort qu’elle avait tout tenté pour dissuader Takeshi de rattraper cette « folle » et ne se gênait pas pour rabaisser la jeune fille en toute occasion.

Le moment de déballer les cadeaux de Yuko qui en resta toute surprise fut aussi le déballage des rancœurs. La jeune fille qui commençait à s’habituer à la vie de groupe pensait calmer un peu l’atmosphère :

- Mais à part ça, les cours se passent bien ? demanda-t-elle tout en affichant un air impassible.
- A merveille… il faut juste veiller à éviter certaines personnes si tu veux rester en bonne santé physique et mentale…

Denchu, agacée, se leva de sa chaise et partit dans sa chambre. Après un long silence, Toya se tourna vers Takeshi.

- On peut savoir à quoi tu joues ?
- Je ne joue pas.
- Tu rigoles ! Continua Toya. Tu connais cette fille depuis une semaine à peine et tu sors avec, juste parce qu’elle t’aguiche ?
- Qu’est-ce que ça peut te faire ?
- Mais tu l’as observé, outre les apparences ? Intervint Deshi, elle… elle est complètement différente de ton idéal, depuis le début elle se sert des garçons ! Ce n’est pas une fille pour toi, elle va te faire du mal !
- Mais mêlez vous de ce qui vous regarde ! Comme si je n’avais pas assez des reproches de l’autre folle! S’insurgea Takeshi.
- Arrête, on sait tous pourquoi tu fais ça ! Lança Kasumi.

Takeshi fut un instant surpris d’entendre Kasumi lui faire un reproche, plus il se reprit pour s’adresser au groupe.

- Vous croyez ?
- Tu veux prouver à tout le monde que tu es « le plus fort », celui qui a réussi à avoir Michiru. Mais tout ce que tu as réussi à faire, c’est ternir ton image et celle de Denchu ! Lui lança Kasumi, pour attirer son regard vers elle et assumer lui avoir parlé ainsi.
- Pff, comme si un bloc de glace pouvait ressentir quoique ce soit.

Il se leva à son tour et quitta la salle.

- Oooh, un appareil photo numérique ! Reprit Yuko en appuyant sur chaque syllabe, faisant mine de ne pas avoir suivi la conversation.

Chacun se tut et reporta l’attention sur Yuko qui venait de les rappeler à l’ordre de manière plus qu’inattendue.

- Oui… C’est de – de la part de tout le monde ! Lui répondit Haneru.
- Eh bien, merci à vous tous ! Je dirai merci un peu plus tard aux deux qui sont montés sans avoir fini le repas.

Yuko se leva et salua toute la table pour le présent qu’elle venait d’avoir, puis tous quittèrent peu à peu la table. Satoshi et Kasumi s’étaient approchés de Yuko pour voir l’appareil de plus près. L’amatrice de photo ne tarissait pas d’éloge sur les capacités de l’appareil et la qualité des photographies qui devraient en découler. Quant à Satoshi, il le proclamait comme étant à la pointe de la technologie et pouvant être lié par bluetooth aux différents appareils environnant.

Deshi était remontée dans la chambre et y retrouva Denchu, sur ses devoirs et rattrapages. Elle n’osa pas briser le calme qui cachait son bouillonnement interne. Kima frappa à la porte, et ce fut Deshi qui vint lui ouvrir.

- Je peux… ?
- Je t’en prie, entre, lui répondit Deshi.

Kima s’exécuta. Elle ne reconnaissait plus réellement la chambre dont le ménage s’était laissé aller, notamment par la présence de Kotori ces derniers jours qui avait arrangé son petit coin, mais aussi par de nombreux livres ouverts par Denchu pour rattraper son retard, et laissés posés ça et là.

- Bon, Denchu, et si tu nous expliquais ce qui ne va pas ? Demanda Kima.
- Je ne sais pas…
- Mais encore, il s’agit de…
- Son attitude, son comportement change et il m’irrite de plus en plus, répondit Denchu en faisant bien attention de ne pas le nommer.
- C’est un démon cette fille… Glissa Deshi.
- Et si ça l’était vraiment ? Souffla Denchu. Et si… et si c’était elle qui avait inondé le collège ?!
- Non, je ne pense pas… Elle devait être avec – ahum – Takeshi à ce moment là, répondit Kima. Enfin bref, c’est bien l’attitude de cette fille qui te déprime apparemment.
- Non.
- Tu sais, tu peux nous le dire, l’encourageait Kima après avoir attendu un court instant que Denchu continue.
- Oui, je sais… Mais ce n’est pas qu’elle, c’est… un ensemble, je pense.
- Bon, je vais vous laisser, je vais aller me coucher car la gymnastique m’a bien crevée dimanche, et je n’ai pas beaucoup dormi cette nuit, donc je vais essayer de me rattraper, leur dit Kima. Bonne nuit les filles !

Denchu et Deshi répondirent en même temps et imitèrent la jeune fille. Bien qu’il ne soit pas si tard, Deshi n’avait pas réellement envie de faire quoi que ce soit et il valait mieux épargner les nerfs de Denchu pour le moment.

~*~

Le lendemain, chacun se préparait en silence à partir en cours. Denchu n’avait pas spécialement profité de sa nuit de sommeil car elle n’arrivait pas à détacher sa pensée de ce qu’elle avait vu et de ce qu’elle avait fait la veille.
La rentrée en classe devait d’être autant plus dure, car Michiru avait aiguisé la réputation de Denchu et rendait l’image de la jeune fille comme quelqu’un de très acerbe et susceptible.
En silence, elle s’installa à sa place au fond de la classe et sortit ses affaires, pendant que Michiru passait la main sur le visage de Takeshi encore légèrement tuméfié et semblait lui parler de quelque chose qui lui tenait à cœur car elle était rayonnante.
Le professeur de sciences économiques et sociales instaura le calme rien que par sa venue et commença par annoncer une nouvelle :

- Bonjour à tous ! Avant de continuer notre cours, j’aimerai vous présenter le nouvel élève dont je vous avais parlé en ce début d’année. Il ne nous a rejoint que maintenant car il devait passer des rattrapages dans son école en Angleterre et attendre les résultats avant de s’inscrire totalement ici. J’aimerai donc que vous accueilliez comme il se doit Ryu Tsukishiro, demi-frère de Michiru, ici présente !

Ryu entra dans la classe à l’annonce de son prénom et salua la classe en précisant qu’il n’était pas si nouveau que ça puisqu’il avait suivi les cours en quatrième et en troisième dans cet établissement.
Tout le monde échangea un regard, d’autres reconnurent aussitôt le jeune homme et se retournèrent vers Michiru pour constater les quelques ressemblances qu’il y avait entre eux. Michiru saluait avec enthousiasme la venue de son frère, et les conversations s’éteignirent peu à peu au moment où le professeur encouragea Ryu à choisir une place inoccupée. Il se dirigea de lui-même vers Denchu où il prit place.
Depuis l’annonce de son prénom et le moment où il était apparu, Denchu était plongée dans un effarement sans fin. Elle ne voulait pas qu’il la voit et d’autant moins qu’il lui parle, mais ne pouvait rien faire, rien dire en sa présence.
Ryu prit place, sourire aux lèvres, ses yeux verts plongés dans le bleu de ceux de Denchu et la salua en murmurant :

- Tu m’as manqué, Denchu…

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