Fanfiction
- Hors série « Contes de Sélénia » |
1- 2- 3- 4- 5- 6- 7- 8- 9- 10- 11- 12- 13- 14- 15
7- Vaincre pour vivre
Au centre du territoire des montagnes Kuma se trouvait un plateau qui abritait l’ancien château de la famille Duza, seigneur du territoire.
Au renversement des mondes, Oniwa, ancien gardien des fées de la roche, s’en était emparé et gouvernait avec délectation la contrée.
Il avait instauré de nouvelles lois de combat pour endormir son peuple sur leurs conditions de vie à la culture des terres, mais aussi pour avoir une armée prête si l’un des voisins envisageait un assaut.
A cette loi, il avait ajouté une mention spéciale, précisant que chacun avait ses chances de servir le roi. Pour cela, les esclaves et prisonniers se devaient de gagner leur liberté en combattant dans les arènes contre des ennemis de taille.
Ce combat pour la liberté était un divertissement violent que le peuple réclamait, et contribuait à forger la popularité d’Oniwa.C’est dans ce contexte que la légende de Deriba naquit.
Petite fille à la peau couleur caramel inhabituelle, Deriba avait été vendue comme esclave à la mort de sa mère par son beau père qui ne souhaitait pas garder cette enfant trop spéciale, faisant douter de son intégrité.
Dans la nouvelle demeure où la petite fille devait travailler, une servante qui n’avait pu avoir d’enfant se prit d’affection pour elle et décida d’être sa nourrice. C’était d’ailleurs là sa seule alliée.
Bien que Sugira, le maître de maison, l’eût à bas prix, il ne souhaitait pas voir Deriba servir ses invités de marque. Il envoyait alors la petite fille exécuter des tâches lourdes, réservées aux garçons, comme couper le bois, aller porter les missives urgentes, rapatrier les marchandises…
Deriba devait donc composer avec le caractère virulent des garçons qui se mesuraient férocement pour envoyer le perdant exécuter la tâche ingrate. La fillette était donc souvent envoyée à cultiver les champs dont la terre sèche se devait d’être constamment labourée afin qu’elle devienne assez fertile.Les années passèrent sans que Deriba ne puisse vaquer à des tâches plus féminines comme la cuisine ou laver les linges, cependant, elle avait gagné un certain respect auprès des garçons qui la voyaient comme une redoutable adversaire.
Héritant d’une force sans commune mesure de par la nature de ses corvées, Deriba entretenait également sa souplesse à chaque fois qu’elle disposait d’un moment de répit.
Alors qu’elle coupait le bois derrière la demeure de son maître, la jeune femme vit au loin des précepteurs du royaume se diriger vers la maisonnée. Elle cessa son activité pour en avertir sa nourrice qui étendait le linge.- ‘Ma !
- Mon enfant ?
- Regarde… Des visiteurs de grande importance pour notre maître.
- Ah, tu fais bien de m’avertir, je vais regrouper les servantes pour préparer en vitesse des boissons fraiches. Remets-toi à l’œuvre si tu ne veux pas te faire mal voir !La jeune femme se remit au travail, réduisant sa cadence pour tenter de capter quelques paroles sur l’affaire en cours.
Sa curiosité ne fut pas longtemps mise à l’épreuve car sa nourrice vint la chercher, elle et les autres esclaves, pour assister au discours des gens de la cour.- Tous vos esclaves se trouvent-ils dans cette pièce ?
- Tous sans exception, répondit Sugira. Maintenant que vous les avez vus, souhaitez-vous que je les renvoie pour que nous puissions parler librement dans le salon ?
- Je vous remercie de cette attention, mais cela n’est pas nécessaire. Ce que j’ai à vous dire concerne également vos domestiques, bien que vous soyez le maître de leur destin. Sachez, cher Monsieur, que notre roi Oniwa a remis à jour les jeux d’arène. Aussi, il propose à chaque esclave le droit de gagner sa liberté s’il sort vainqueur des jeux. Chaque semaine verra un esclave libéré, pouvant s’engager dans l’armée et gagner des terres ainsi que ses droits de citoyen.
- Et qu’y gagné-je ?
- Bien entendu, nous ne vous laissons pas amputé des services de vos domestiques, aussi, nous vous proposons de racheter votre esclave, et si celui-ci sort vainqueur, nous vous remettons le double de sa valeur.
- Bien… Je vous remercie pour cette nouvelle, je vais y réfléchir… Quand seront les prochains jeux ?
- La semaine prochaine, Monsieur.Cela était plus qu’espéré pour Deriba. Elle avait enfin la chance de disposer de sa vie, à condition qu’elle sorte gagnante au jeu.
D’autre part, négocier son départ ne devait pas être bien compliqué : elle ne ferait plus honte au maître, et il n’y aurait plus de querelles ni de contre temps dans l’atelier des hommes…~*~
La jeune femme avait obtenu audience auprès de son maître et les nombreux arguments dont elle disposait l’avaient convaincu de la laisser participer aux jeux.
Sa nourrice, en revanche, resta inconsolable du départ de son enfant, qui courait – elle en était certaine – à une mort prématurée.Après avoir fait savoir aux précepteurs qu’il y avait un candidat en sa demeure, les hommes emmenèrent Deriba à l’arène centrale où elle suivit un entraînement d’une semaine pour l’initier aux jeux et aux armes dont elle disposerait.
Les quolibets s’étaient fait entendre à son arrivée, mais ils se turent rapidement lorsque la jeune femme mit à terre un colosse qui voulut l’attaquer par derrière.Satisfait des exercices, l’entraîneur de l’arène leur donna congé pour se détendre avant le premier jour des jeux qui avait lieu le lendemain. Et afin d’éviter un quelconque incident dans les cellules, il isola Deriba, en maudissant le citoyen qui l’avait envoyée en ce lieu, non parce qu’il s’inquiétait pour cette femme, mais parce qu’elle lui donnait à réfléchir…
~*~
Le soleil venait tout juste de se lever et déjà le martellement des pas sur les gradins de bois et de pierre se faisait entendre.
Quelques uns des gladiateurs s’étiraient et s’échauffaient dans leur cellule afin de se donner du courage. Ils savaient qu’à l’issue de la première journée, une bonne moitié d’entre eux ne survivraient pas.
Deriba était levée depuis longtemps. Sans bruit, elle regarda par la petite lucarne, portant son regard à travers les barreaux pour apercevoir la beauté du paysage qui s’offrait à elle.
La lumière du début de l’été étendait une brume dorée sur le paysage, conférant à la neige éternelle des cimes l’éclat du diamant, dont les reflets venaient soutenir les couleurs de la nature luxuriante.
Elle rêvait de dévaler ces étendues vertes, de parcourir le monde qu’elle ne connaissait qu’à travers les contes, et elle savait cela possible si elle remportait les jeux.La jeune femme fut interrompue dans sa rêverie par la clameur grandissante qui lui parvenait jusque dans sa cellule.
Des bruits de tambour étouffés se faisaient entendre et le public se calma pour écouter l’oraison des acteurs qui annonçaient le début des festivités.
Puis les esclavagistes ouvrirent leurs cellules et leur distribuèrent de quoi se défendre et attaquer. Côte de mailles, casque, épées, lances. Ils se voyaient attribuer au hasard une arme, un bouclier ou un heaume.
Ensuite, ils se virent attachés à un autre gladiateur par le pied. Ennemi ou compagnon, ils ne le sauraient qu’une fois sur le terrain.Alors que la lourde herse qui les cachait du terrain se soulevait, les exhortations de la foule en saisirent quelques uns à la gorge.
Armée d’une lance et protégée par un heaume, Deriba demeurait calme. Elle avançait lorsqu’on le lui demanda et ajusta son pas à celui dont elle était attachée.La lumière illuminait maintenant toute la place et rendait le sable aveuglant. Les poteaux prévus pour les exécutions s’élevaient toujours au centre de l’arène et le sang séché à leur base avait tellement imprégné le bois et le sable qu’il demeurait indélébile.
A quelques pieds de la loge principale, les gladiateurs s’arrêtèrent et saluèrent leur roi.
Oniwa leva la main en guise de salut et la reposa sur le bras de son fauteuil, signifiant le début des jeux.
De nouvelles herses se soulevèrent, de part et d’autre de l’arène, délivrant une vingtaine de reptiles affamés, claquant des dents contre leur semblable.Les gladiateurs comprirent très vite que leur ennemi n’aurait pas consistance humaine. Jamais ils n’avaient travaillé de la sorte : chacun luttait pour sa propre vie et non pour la survie de son compagnon, mais ils surent que l’entraide et une parfaite coordination les mènerait vers la victoire.
Malheureusement pour Deriba, l’homme avec qui elle était attachée était celui qui avait tenté de la faire fléchir lors des entrainements. Elle savait que la fierté du gladiateur serait bien plus forte que son besoin de sécurité, aussi, la jeune femme devait se méfier à la fois des alligators et de son camarade.
Les reptiles avançaient à vive allure vers leur proie, et sans crier gare, le compagnon de Deriba courut à leur encontre. Déséquilibrée, la jeune femme trébucha et en perdit son heaume. Elle fut tirée sur quelques mètres par son acolyte et décida d’arrêter sa course en plantant sa lance dans le sable et tirant d’un coup sec sur sa jambe prisonnière.
Le gladiateur tomba tête la première et eut à peine le temps de se relever qu’un caïman avait attrapé son bras et qu’un autre le devança pour lui dévorer la tête. S’en suivit d’innombrables claquements de dents et un enchevêtrement des bêtes vertes qui se teintaient de rouge à mesure qu’elles dévoraient le pauvre homme.
La foule exprimait son dégoût et son amusement par d’innombrables cris et de jets de pierres sur les reptiles.
Deriba était debout et ses pieds étaient bien ancrés au sol. La chaîne était encore tendue entre elle et ce qui restait de son compagnon, et elle savait que les reptiles ne s’arrêteraient pas à cette victime…
Au moment où elle sentit la chaîne se relâcher, la jeune femme tira d’un coup sec dessus, dérangeant au passage un crocodile, et eut la bonne surprise de voir que l’épée de son défunt compagnon avait été prise dans la boucle de la chaîne.
Deriba enroba la chaîne autour de son bras et récupéra à temps l’épée pour l’enfoncer dans la mâchoire béante du crocodile qui rampait vers elle.Dans la loge, Oniwa s’était redressé pour mieux voir le divertissement. De là où il était il ne pouvait apercevoir l’homme qui avait mis à terre un de ses reptiles. Il repéra uniquement la couleur ambrée de sa peau qui luisait sous l’effort. Et alors qu’il avait renversé la bête sur le côté, le gladiateur se retourna en vitesse vers le centre de l’arène et Oniwa entrevit le visage délicat d’une jeune femme et en fut troublé.
Il se tourna vers ses conseillers et en appela un en claquant des doigts pour qu’il s’abaisse à son écoute.- Qui est cette jeune femme ? Lui murmura-t-il.
- Elle faisait partie des domestiques de la maison de Sugira, noble roi.
- A l’issue de l’épreuve, et si elle en sort vivante, je veux que vous m’accompagniez jusqu’à sa cellule.
- Bien, Monseigneur.Deriba avait glissé l’épée dans sa ceinture et courait vers les poteaux en bois qui étaient érigés au centre de l’arène. Et dans un bond digne des gazelles de la terre d’Hebi, elle sauta vers l’un d’eux pour y ficher solidement sa lance et s’y percher.
Elle grimpa sur la tige qui supporta aisément son poids et planta son épée pour s’y maintenir. Ainsi équilibrée et en sécurité, Deriba lançait le maillon de la chaîne, qui avait servi à emprisonner le pied du gladiateur mort, aux crocodiles, visant leur tête.Les pertes des gladiateurs étaient assez minimes et ceux qui avaient perdu un acolyte avaient tranché le pied du défunt pour imiter la technique de Deriba, parfois avec succès, parfois devant se résigner à combattre à terre.
Les reptiles exterminés, la foule acclama les survivants, mais les organisateurs n’étaient pas satisfaits du nombre de gladiateurs tombés.
Alors que les combattants saluaient à nouveau leur roi, un conseiller demanda au public de se taire afin qu’il annonce la suite des jeux, et l’ajout d’une épreuve à la grande joie du public.- Afin de convenir au nombre de gladiateurs devant participer à la nouvelle épreuve, je demanderai aux gladiateurs de combattre le compagnon avec lequel il est attaché. Le vainqueur pourra alors participer à la suite des épreuves. Quant à ceux qui n’ont plus d’adversaire, ils devront combattre contre les autres qui se retrouvent seuls.
Cela faisait donc trois ennemis que Deriba devait combattre. Elle ne pouvait se fier qu’à elle-même, d’autant que ceux-ci s’étaient accordés, sans même se concerter, à abattre en premier lieu la femelle…
Oniwa se tordait sur son siège pour mieux voir le combat. Il aurait voulu l’arrêter immédiatement pour pouvoir s’entretenir avec la jeune fille qu’il trouvait de plus en plus intrigante, mais il devait laisser le peuple se délecter du spectacle avant tout.
Deriba, épée en main, la faisait tournoyer afin de dissuader ses adversaires de l’approcher. Ceux-ci comprirent la manœuvre et se placèrent en cercle autour d’elle, s’approchant petit à petit. Deriba était piégée.
L’un deux prit son élan et s’élança sur la jeune fille, la prenant par l’arrière. Il la saisit au cou, mais Deriba savait se défendre contre ces attaques habituelles, aussi elle infléchit de tout son poids, déséquilibrant le gladiateur et frappa de la paume de son épée dans son estomac.
Etourdi un instant, la jeune femme ne lui laissa aucun répit et lui trancha la tête. Malheureusement pour elle, un autre gladiateur frappa de tout son poids sur le bras de Deriba, ce qui la força à lâcher son arme, puis il s’empara de l’épée.Seule et désarmée contre deux gladiateurs aux yeux injectés de sang, Deriba se battit à mains nues, parant les coups d’estoc en déviant le bras de ses adversaires à l’aide de ses longues jambes, mais elle savait que le combat à mains nues ne durerait qu’un temps, car elle s’essoufflerait à autant se défendre.
Alors que l’ennemi avait réussi à faire baisser la garde de la jeune femme et qu’il s’apprêtait à la blesser, une lourde épée s’interposa entre eux, se figeant dans le sol, et faisant instantanément reculer le gladiateur.
Deriba ne prit pas la même peine que l’homme à regarder d’où venait cette arme providentielle, elle s’en empara et abattit le gladiateur qui lui faisait face, avant de se retourner et d’enfoncer sa lame dans les flancs du dernier.Oniwa était débout et soulagé de la victoire de Deriba. Le peuple avait aimé qu’il intervienne dans le combat, malgré l’influence qui jouait inévitablement sur l’issue de la bataille.
La jeune femme ne s’était même pas souciée de la provenance de l’arme, et il ne put qu’en déduire du caractère bien trempé de la gladiatrice.Les combats se terminaient, et ne restaient donc plus que cinq gladiateurs, prenant leurs distances avec les autres combattants pour éviter tout coup traître.
Les sénateurs prirent la parole pour demander aux gladiateurs de poser les armes et pour les remercier du spectacle réjouissant et des combats menés, avant de leur donner congé de la fin d’après-midi afin qu’ils se préparent à la dernière épreuve qui avait lieu le lendemain, et à la proclamation du nouveau citoyen et soldat.~*~
Deriba était à nouveau seule dans sa cellule. Adossée à la paroi rocailleuse, bras croisés, immobile, elle se ressourçait.
A mesure qu’elle évacuait les tensions de la journée, la guerrière accueillait une sérénité nouvelle en son esprit, mais elle ne put pousser plus loin son expérience car des pas lourds se faisaient entendre près de sa geôle.
La jeune femme resta immobile et leva juste les yeux pour connaître l’identité des visiteurs, et lorsqu’elle reconnut celui qui s’avançait à sa porte, elle s’obligea à ne pas paraître surprise.- Demoiselle, me feriez-vous l’honneur d’échanger quelques paroles ?
- C’est bien la première fois que l’on s’adresse à moi avec un titre…Les sénateurs qui entouraient le roi Oniwa parurent outragés par les paroles de la détenue, et exprimèrent de vives protestations.
Oniwa les arrêta d’un geste de la main et les congédia sans prêter attention aux mises en garde de son plus proche conseiller.
Lorsqu’il se retrouva seul, face à face avec Deriba, il réitéra sa demande.- Peut-être vous sentirez-vous plus à l’aise si ces hommes sages et séniles ne sont pas à côté.
Deriba toisa le roi de la tête au pied avant de se redresser et de décroiser les bras, un peu plus encline à la conversation, quoique toujours sur la défensive.
- Vos conseillers ne font que leur travail, mon roi. Les congédier ainsi face à une personne de ma condition doit les blesser dans leur fierté.
- Ne vous inquiétez pas pour leur fierté. Ils l’ont laissée à l’entrée du palais lorsqu’ils ont accepté de me servir. Et je ne suis pas venu ici pour parler d’eux, mais de vous. Vos capacités au combat sont impressionnantes, venant d’une femme, je dirai que cela relève du miracle…
- Contrairement à mes adversaires, j’ai choisi de solliciter mon esprit plutôt que ma force…
- Votre esprit n’a pas tout fait, il vous fallait un minimum de condition physique pour remporter la victoire, et…
- Si vous permettez, Monseigneur, sans l’aide de votre épée, je n’aurai pu vaincre mes adversaires.
- Ainsi vous saviez que l’épée m’appartenait. Je pensais que vous n’y aviez pas prêté attention, lui répondit-il, amusé.
- Je viens de le découvrir à l’instant. Le pommeau à la finition soignée qui se trouve à votre ceinture ne peut être qu’un exemplaire unique et appartenir à une personne d’importance.
- Elle est effectivement accordée et cédée aux personnes ayant un courage exceptionnel. J’ai été ravi que vous soyez celle qui s’en est emparée.Deriba hocha la tête, acceptant le compliment, elle commençait toutefois à trouver la présence du roi dérangeante, car elle ne savait pas où il voulait en venir. Aussi, ayant déjà dépassé le stade de l’insolence en n’ayant pas employé les politesses de base, elle décida de précipiter l’entretien.
- Monseigneur, vous disiez vouloir converser d’un sujet précis sur ma personne. Je vous serai reconnaissante d’y venir car je suis au regret de vous annoncer que cette journée m’a épuisée.
- Jeune demoiselle, veuillez excuser ma curiosité, il est vrai que j’oublie que vous avez à vous reposer pour les jeux de demain. Ma question, posée ainsi, vous semblera bien crue. Vous avez sûrement remarqué que la couleur de votre peau… et la mienne, sont inhabituelles pour le peuple de Kuma. Aussi, je souhaitais m’enquérir sur votre filiation.
- Je n’ai jamais connu mon père qui est mort bien avant ma naissance. C’est à lui que je dois ma couleur de peau.
- Aviez-vous des frères et sœurs ?
- J’étais l’unique enfant de ma mère. Elle est morte quand j’avais six ans.
- Peut-être du côté de votre père… Suggéra Oniwa.
- Monseigneur, nous ne sommes pas frère et sœur. Je connais votre histoire comme de nombreux habitants et je puis vous assurer que mon père n’avait pas eu de compagnes avant ma mère.
- Je dois vous avouer que si vous aviez été l’une de mes sœurs, je vous aurai libérée sur le champ, mais je ne peux le faire sans raison…
- Si j’avais été votre sœur, je n’aurai pas voulu de cette solution de facilité. Je veux gagner ma liberté et non pas l’obtenir par faveur.
- Une liberté limitée, jeune Demoiselle, puisqu’à l’issue des jeux, le survivant s’engage à servir la contrée. Cependant, je pourrai vous trouver une…Oniwa souhaita ajouter quelque chose, mais il fut coupé par un conseiller qui s’avançait vers lui, se confondant en excuse pour le dérangement.
- Que souhaites-tu, Rokuro, le coupa-t-il, agacé.
- Mon bon Roi, des visiteurs de haute importance vous demande audience.
- Ne pouvais-tu les faire attendre ?
- Elle… ils ont des arguments et des informations qui intéresseront votre altesse.Oniwa voulut s’excuser auprès de Deriba, mais celle-ci était retournée s’asseoir dans l’ombre de sa cellule.
Le roi tourna les talons, fâché de n’avoir pu terminer sa conversation et de l’impudence de ces soi-disant visiteurs de marque.- Qu’ils soient installés dans les appartements de courtoisie ! Je donnerai audience demain avant les jeux. Et j’espère pour eux que ma colère sera passée.
~*~
La nuit avait porté conseil à Oniwa qui se sentait d’humeur à recevoir les visiteurs. Ceux-ci furent amenés à sa loge royale, dans le colysée où se déroulaient les jeux.
Sans jeter un œil sur ses hôtes, Oniwa, perdu dans la contemplation de l’arène et du public, invita les visiteurs à parler d’un signe de la main.
Quelque peu hésitant, le jeune homme prit la parole.- Grand Roi des Montagnes… je suis ici pour vous demander faveur qui pourrait vous rapporter.
- Mmmh, te places-tu en demandeur ou en offreur ?
- Les deux, Monseigneur, pour pouvoir vous offrir, il me faut avant tout votre aide.Amusé, le roi se retourna pour identifier le visage de son interlocuteur, mais à la vue du jeune homme, son visage se crispa sous des traits de colère.
- Toi ?!
- Je vous en prie Monseigneur, écoutez ce qu’il a à vous dire.La rage d’Oniwa ainsi que sa convoitise s’envolèrent. Un calme étrange régnait en son esprit, une sorte de sérénité qu’il n’avait connu depuis qu’il était au pouvoir.
- Demoiselle, savez-vous à quels dangers vous vous exposez en apparaissant à moi… Reprit-il, d’un ton posé.
- Monseigneur, j’ai eu vent des similitudes existant entre les fées de la roche et moi. Je puis vous assurer cependant que je suis une humaine, la couleur de mon sang vous le prouvera.A ces mots, la jeune femme se piqua le doigt et le sang vermillon se mit à perler rapidement, tâchant la robe solennelle qu’elle avait revêtue pour l’audience.
- Jeune demoiselle, je vous prie de m’excuser d’avoir douté de vous, s’empressa-t-il de lui dire en lui tendant une serviette. Faites-moi donc savoir votre nom et la raison de votre présence.
- Je me nomme Himeguma, mon bon Roi, et je viens du village Komatsu. Ma présence ici est due au fait que je partage les idées de Tenshiro, que je n’ai visiblement pas à vous présenter. A cet effet, je vous prie de bien vouloir écouter ses propos qu’il défendra beaucoup mieux que moi.
- Ha ha ha, tu as amené une femme de grand courage, Tenshiro. Ma faiblesse envers les humaines me perdra… Soit, parle, scélérat !
- Avant tout, connais-tu la véritable raison de la correction que m’a infligé Kurao ?
- Tu as mérité ce qu’il t’est arrivé. A juste titre, même ! Tu croyais que nous allions te laisser nous écraser et nous renvoyer à notre ancienne condition ?!
- Je n’ai pas les moyens de le prouver, mais ce qu’elle a avancé est faux. J’essayais de lui faire entendre raison, je voulais lui apporter la preuve des bienfaits des fées, mais elle a décidé de leur extermination.
- Balivernes ! Les fées se comportaient en despote…
- Au contraire, elles faisaient profiter la communauté.Oniwa s’appuya contre son trône et enjoignit Tenshiro à développer. Celui-ci avança ses arguments sur la régulation de la nature, l’extinction à venir de la race humaine, la stagnation des découvertes technologiques, la création d’une race obéissante qui tentera de récupérer le pouvoir des demi-dieux…
Le roi ne l’écoutait qu’à demi-mot. Il lança l’ouverture des jeux et observa l’arène à la recherche de sa gladiatrice.
Il ne tarda pas à la trouver, une épée à la main, observant les manœuvres possibles pour tenter d’échapper à la portée des archers.Le troisième et dernier jeu était de loin le plus mortel : des chars tournaient autour de l’arène, avec en leur bord un archer disposant d’innombrables variétés de flèches, causant des dégâts irréparables dans la chair.
Deriba sut qu’elle ne pouvait les affronter qu’au combat rapproché, mais la distance à parcourir qui la séparait des attelages était risquée.
Déjà deux gladiateurs qui avaient tenté de forcer le passage venaient d’être criblés de flèches. Même si elles n’avaient pas atteint de points vitaux, les combattants étaient à terre, incapables de se relever et se vidaient de leur sang.Chaque archer prenait trente secondes pour choisir une flèche, bloquer une cible, viser et tirer. Ce temps était considéré comme très long pour des soldats chevronnés, mais ceux-ci n’avaient que très peu à craindre pour leur vie. Deriba choisit donc de mettre ce temps à profit. Elle avait repéré quel serait le char qui passerait près d’elle après la prochaine salve de traits empoisonnés, et elle se plaça à un endroit stratégique, près des poteaux pour limiter l’exposition de son corps, et à quelques pieds de la loge royale.
Alors que l’archer en profita pour réarmer, Deriba se précipita vers lui, sauta agilement sur le char et lui trancha la tête. D’un coup de pied, elle renversa le conducteur de l’attelage, le laissant à la merci des gladiateurs restants au combat, et avisa la tapisserie grandiloquente qui décorait la loge du roi.~*~
- … Elle renversera ceux qui resteront ! Objectait Tenshiro au manque d’enthousiasme d’Oniwa. Déjà, le partage des terres n’a pas été réalisé à parts égales et ce n’est plus qu’une question de temps avant qu’un roi ne vienne à conquérir des terres qu’il ne détient pas. Elle a calculé tout ça, et il faut l’en empêcher, rétablir un équilibre et faire en sorte que le peuple humain ne soit pas contraint mais heureux de vous obéir !
- Ta faconde me fatigue et tes arguments ne m’ont pas vraiment convaincu… Lui répondit Oniwa en se retournant face au créateur. Viens-en au fait ! Quelles actions attends-tu de moi ?
- Les tensions ne tarderont pas à se faire sentir et Kurao fera tout pour les raviver en prêtant son aide à ceux qui lui sont fidèles. Elle ne vous aidera pas car vous avez désormais tué toutes les fées de la roche et acquis leur pouvoir : vous n’avez plus rien à lui offrir. Je vous propose de tous nous unir contre Kurao et rétablir une monarchie équitable. Pour cela, il faudrait que vous convainquiez le roi Koori de l’île Shachi qui se voit acculé par ses voisins et qui…
- … C’est là une idée délétère, l’interrompit Oniwa sans prêter attention à sa dernière phrase. Quel bénéfice pourrai-je tirer en m’alliant à tes troupes inexistantes, si ce n’est que la défaite des miens ? A contrario, Kurao m’offrirait un bon prix pour ta capture…
- Les autres contrées vous convoiteraient et de ce fait, vous deviendriez le premier homme à abattre.
- Qu’en est-il de ton pouvoir… ?
- La condition de mortel dans laquelle vous m’avez plongé ne sera pas éternelle. Je récupère petit à petit…
- HA HA HA HA HA HA HA !! Et tu veux faire alliance avec moi sans offrir une seule défense ?! Déguerpissez vite avant que je ne vous écrase ! Siffla Oniwa d’un ton qui ne souffrait aucune remarque.Au dehors, la foule s’agitait, des exclamations mêlant toutes sortes de sentiments se faisaient entendre. Oniwa se retourna et s’avança au balcon afin de voir ce qu’il avait manqué, mais il fut arrêté par la pointe d’une épée qui menaçait sa gorge.
Deriba maintint sa mise en garde et força Oniwa à reculer. Elle lâcha alors la tapisserie avec laquelle elle s’était aidée à escalader la paroi, et sans un mot, en balayant du regard les personnes de la loge, pointant l’épée sur chacun d’eux, elle se recula doucement jusqu’à disparaître à l’embrasure de la porte et s’enfuir, empruntant l’unique chemin qui menait à l’arène et traversait les montagnes.Tu n’auras qu’une faible avance… Pensait Oniwa, peu mécontent de la tournure qu’avait pris le combat.
Tenshiro salua le roi et enjoignit Himeguma à faire de même afin de quitter les appartements royaux avant que le courroux du maître des montagnes ne se déchaîne, mais une fois dehors, Himeguma prétexta avoir oublié son châle et demanda à Tenshiro qu’il l’attende sur le chemin.Oniwa était resté dos à l’arène, tête baissée, il était songeur. Pressée par le temps, Himeguma se permit d’entree, et les conseillers lui laissèrent la voie.
- Mon roi, accordez audience à l’une de vos citoyennes. Sachez que vos confrères ne recherchent que le pouvoir et aucune contrée ne sera en paix tant que Kurao règnera. Et pour la paix de notre peuple, je veux que vous convainquiez le roi Koori à combattre à nos côtés. Rendez-vous à Shachi avec votre garde personnelle et retrouvons-nous à mi-chemin, à l’entrée de la vallée Ookami, fief de Kurao, entre la forêt Sasori et la jungle d’Hebi. Je vous en prie…
Himeguma savait que ses suppliques étaient superflues car déjà elle sentait la volonté d’Oniwa faiblir.
- Soit… D’ici une semaine, le temps de donner une excuse et un pouvoir de gouvernance à Kuma, nous serons prêts à partir.
1- 2- 3- 4- 5- 6- 7- 8- 9- 10- 11- 12- 13- 14- 15