Fanfiction
- Hors série « Contes de Sélénia » |
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10- Trahisons
Shisaku était un être tourmenté et nerveux. Après avoir plaidé en vain qu’on le libère, il passa à la vitesse supérieure : il ne cessait d’hurler et faisait léviter les objets l’entourant, les entraînant dans une valse dangereuse, obligeant les gardes à se protéger à l’extérieur.
- ASSEZ !
Anshin, excédée par le rapport de sa garde, venait de pénétrer dans la prison. Elle n’avait pas trouvé utile de modifier son apparence et se tenait à l’entrée de sa cellule, fixant d’un regard froid l’ancien gardien des fées de l’esprit.
Celui-ci lui rendit le même regard, jaugeant la patience de sa visiteuse.- Tu ne partiras d’ici que lorsque nous pourrons juger de ta docilité. Tant que tu n’abaisseras pas tes défenses…
- Il m’est impossible d’ouvrir cette protection ! Rétorqua-t-il avec virulence. Il s’agit de défenses naturelles, un pouvoir que je ne peux contrôler à ma guise.
- Soit, je sonderai ton âme mais cela te sera plus douloureux que l’esprit. Même si cela doit me coûter toute mon énergie, je ne tolèrerai pas qu’une personne menace la sécurité de la citadelle.
- Je vous le déconseille.
- Est-ce là une menace ?
- Non, une mise en garde. Je resterai inoffensif tant que je garderai un contrôle sur moi-même. En explorant mon âme, vous risquez de…
- J’ai la capacité de prévenir et de maîtriser les risques, le coupa-t-elle, faraude.
- Ma Dame, je ne doute pas de vos compétences, mais je cache en moi mon pire ennemi. Laissez-le sortir et il en est fini de votre citadelle.Anshin coula un regard en biais et quitta la salle. Elle commencerait le travail le lendemain.
~*~
Kinzoku n’était pas confiant. Bien qu’il eût l’accord de Kurao pour s’installer non loin de la forêt Sasori, il savait qu’il n’était qu’une question de temps avant que les autres ne viennent réclamer son territoire.
Il n’aimait définitivement pas ses frères d’armes.
A la chute des deux mondes, Kinzoku, pusillanime, avait bien dû se fondre parmi eux afin que son dessein ne soit pas découvert. Il limita ainsi le génocide contre les fées, en indiquant de faux réseaux aux autres monarques, et continuait sa quête désespérée en vue de retrouver Hagane.
Il ne s’était confié qu’à Tenshiro et avait malheureusement dû le trahir lorsque Kurao prononça son bannissement.
Il se sentait lâche et misérable, mais depuis il s’était endurci. Afin de sauver sa terre et combattre les monarques, il avait besoin d’une arme puissante et il savait exactement où il pouvait en récupérer une.
Par chance, la forêt Sasori cachait la clairière où les fées de l’acier adoptaient leur lame magique. En tant que gardien, il avait une petite idée de l’endroit où se trouvait le lieu sacré, et il décida de partir à la recherche des épées du royaume d’Aciron qui elles seules lui promettaient la victoire face à un demi-dieu.~*~
Hasaki vint aux nouvelles du jour. Alors qu’elle était partie à la cascade pour y puiser l’eau, Anshin s’était matérialisée dans leur clan et avait fait savoir à Hagane que deux voyageurs souhaitaient rencontrer Kinzoku afin qu’il mène avec eux une lutte intestine contre la tyrannie de Kurao.
- Eh bien, chère sœur… Pourquoi cette moue de dégoût à l’annonce de cette nouvelle ? Tu devrais te réjouir que d’autres que nous déploient une stratégie de taille pour lutter contre la démence de l’impératrice, remarqua Hasaki après qu’Hagane l’eût informée.
- Certes, mais cette idée me déplaît. Anshin m’a convaincue que les deux voyageurs étaient dignes de confiance, en revanche, Kinzoku est vil…
- Lorsque tu me l’avais décrit après notre bannissement, tu n’étais pas aussi catégorique.
- J’étais naïve, Hasaki. Naïve et amoureuse.
- Je te taquine, voyons !Hasaki gratifia sa sœur d’un tendre sourire. Celle-ci était soulagée du chemin que prenait Hagane : sa sœur était moins impulsive et plus réfléchie.
Oh, elle avait envié Hagane et sa folle histoire. Elle avait envié son courage, la confiance aveugle qu’elle pouvait porter au jeune homme, et elle avait également jalousé son imprudence. En soi, elle aurait pu vivre cette histoire si elle n’avait pas été aussi sérieuse, mais elle n’aurait pas pu accepter aussi dignement le retour de bâton. Malgré tout et parce qu’elle ne voulait pas se retrouver seule, elle avait suivi sa sœur et Anshin dans leur exil. En quittant elle aussi le peuple des fées de son plein gré, elle reçut un peu de ce courage qui gonflait le cœur d’Hagane, mais elle n’avait ni le poids de la culpabilité, ni de la redevance que sa sœur devait supporter.Hagane pinça la joue d’Hasaki pour lui montrer qu’elle partageait la provocation mais qu’elle en gardait trace, puis elle laissa sa sœur porter son chargement au clan.
Alors qu’on l’aidait à décharger, Hasaki tendait l’oreille aux conversations, discernant rumeurs et ragots des informations capitales.
C’est alors qu’elle apprit que Kinzoku était en marche à la vallée des Héros afin de se trouver une épée capable de terrasser les dieux.- Où as-tu appris cela, intervint Hasaki sans autre préambule.
- Lorsque j’ai emprunté le chemin du village pour y porter notre message habituel. J’ai vu le cheval royal apprêté se diriger vers l’ancien lieu sacré.
- Il pouvait prendre une toute autre direction, lui fit remarquer Hasaki.
- Il le pouvait, mais pourquoi aurait-il pris le risque de se déplacer seul et sans épée en son fourreau ?Hasaki réfléchit. Dans les lois édictées par les fées de l’acier, il leur était interdit de porter une arme à la clairière sacrée sous peine d’offenser les esprits des braves. Il fallait traverser la vallée sans mauvaises pensées, les paumes ouvertes en signe d’offrande et alors l’épée se manifestait à son nouveau propriétaire.
La jeune fille ne voulait pas alerter sa sœur de cette rumeur et souhaita vérifier par elle-même l’entreprise du monarque. S’il cherchait réellement une lame en ces lieux, c’était qu’il se devait d’avoir un cœur pur et dévoué aux fées de l’acier sous peine de souffrir du châtiment de la saignée qui prenait tout voyageur aux pensées obscures.
Par ailleurs, voir de ses propres yeux le gardien qui avait ravi le cœur de sa sœur piquait la curiosité d’Hasaki, et elle sentit à nouveau le fourmillement du risque la pénétrer et s’installer au creux de son ventre.
Déterminée, Hasaki voulut se prouver qu’elle portait en elle le courage nécessaire pour faire bouger le sort des fées et s’il n’en était rien, elle aura au moins étouffé dans l’œuf la rumeur qui pouvait se propager et prendre des proportions démesurées dans le clan.
C’est ainsi qu’elle laissa sa marchandise et quitta discrètement les racontars.~*~
La vallée s’étendait devant lui, lugubre, plongée dans le brouillard. Cette simple vision du champ où reposaient des milliers d’épée dissuadait les voyageurs qui s’étaient aventurés si loin.
Les épées, qu’il croyait étincelantes, étaient d’un gris terne et certaines commençaient même à rouiller, emplissant l’air déjà lourd d’une odeur âcre.
Fidèle à la tradition qu’Hagane lui avait apprise, il avança mains écartées, paumes ouvertes vers le ciel et s’enfonça dans les allées.- Elles ne vous répondront pas !
Une voix familière lui parvint, quoique teintée d’appréhension et plus sage que celle dont il avait coutume d’entendre.
Il se tourna à l’endroit où la voix avait porté, et il la trouva sur les hauteurs, solennelle, les cheveux détachés volant au vent.- Hagane… Est-ce la magie du lieu qui joue un tour à mes sens ou est-ce bien toi ?
Kinzoku se sentit irrésistiblement attiré. Ses jambes bougèrent d’elle-même et il courut vers la jeune femme afin de pouvoir étreindre celle qu’il croyait avoir perdu.
- N’a… n’approchez pas ! Intima-t-elle alors qu’elle le voyait se diriger vers lui.
- Serait-ce là le châtiment inique des âmes impures ? Vas-tu faire saigner mon corps comme tu viens de faire pleurer mon cœur ? Répondit-il, implorant.
- La magie n’est plus habitée depuis que les fées ne régulent plus le monde. Vous n’avez rien à craindre de la saignée, mais vous ne pouvez non plus espérer trouver une arme car les âmes des héros les ont désertées.
- Alors, si la magie a quitté ce lieu… si vous n’avez à craindre les larrons, pourquoi es-tu ici ?
- Je savais que vous viendriez…Kinzoku ne sut si cette vision lui réchauffait ou lui glaçait le cœur. La distance qu’Hagane mettait entre eux, il voulait la placer sous le compte des regrets et de la méfiance vis-à-vis des anciens gardiens.
- Ne me pardonneras-tu jamais même si je te dis que tout ce que j’ai fait, c’était pour toi ?
La jeune femme décida d’ignorer sa question et corroborer son hypothèse.
- Si vous avez eu l’audace de venir en ces lieux de mémoire sans craindre le châtiment, cela voudrait-il dire que vous vous rangez du côté des fées ?
- Je l’ai toujours été… J’ai dû jouer un rôle auprès des autres gardiens, mais j’ai tout fait pour éviter le massacre et ralentir l’avancée des troupes… Je suis venu ici pour mettre un terme à la monarchie existante, en utilisant les armes des fées de l’acier.
- Alors je peux vous aider.
La bénédiction de la jeune femme soulagea Kinzoku, mais celui-ci ne se sentit pas entièrement apaisé.- Hagane, me pardonnes-tu ?
- Vous pardonner, non… Répondit la fée. Par votre entreprise, de nombreuses fées ont péri, dont ma sœur Hagane. Mais pour sa mémoire, je veux vous faire confiance.~*~
Shisaku n’opposait aucune résistance lors de l’inspection d’Anshin. Avant la venue de la fée, il restait assis dans l’ombre des heures durant, en murmurant une suite de mots incompréhensibles afin que les bruits extérieurs ne l’atteignent pas.
Alertée par ses gardes du comportement étrange du prisonnier, Anshin décida d’interrompre ses enchantements.
Elle pénétra discrètement dans sa cellule et le surprit dans son action :- Quel complot ourdis-tu pour protéger ainsi ton âme ?
- Mon âme vous est grande ouverte, Majesté. Je ne fais que retenir…Shisaku s’interrompit quelques secondes avant de reprendre. Il commençait à cerner l’intransigeance de la fée à l’égard des secrets ou des paroles lancées à demi-mot. Aussi, il prôna la vérité nue avant qu’Anshin ne la découvre par elle-même :
- … Lorsque je vous avais dit que je portais en moi mon propre ennemi, il ne s’agit pas de félonies de mon propre fait, mais d’un contrôle extérieur.
- Explique-toi, intima Anshin, méfiante.
- Une partie de mon esprit a été façonné pour répondre aux exigences de Kurao. Mon âme est intacte, mais parfois je perds le contrôle de moi-même et l’autre prend le contrôle m’obligeant à commettre des actes pour le compte de Kurao. C’est pourquoi je me suis exilé afin de ne porter aucun préjudice aux populations pouvant m’entourer, et c’est pourquoi il n’est pas sage de me garder ici, s’il vient à se manifester…
- Le pouvoir des fées de l’esprit était bien trop grand et trop sage pour toi… Lui répondit la jeune femme avec une douceur inhabituelle. Laisse-moi voir…Shisaku eut un mouvement de recul lorsque la fée posa les mains sur son front. Elle opérait pourtant de la manière habituelle, mais quelque chose n’allait pas… Shisaku n’avait pas pris suffisamment sur lui-même pour empêcher son double de se manifester.
Le rejet fut violent. Les yeux de Shisaku s’étrécirent et il bondit sur Anshin qui n’eut pas le temps de réagir à l’attaque.
Les gardes tentèrent d’entrer mais une force invisible maintenait la porte fermée et les objets se mettaient à léviter et tourner à grande vitesse dans la pièce.
La jeune femme n’arrivait pas à se téléporter. Shisaku semblait bloquer toute forme de magie émanant de l’esprit et alors qu’il apposait la main sur le front d’Anshin, un trait de surprise passa dans son regard et sa main se retira avec difficulté.
Shisaku se redressa soudainement, se jeta à terre en se prenant la tête entre les mains et tous les meubles retombèrent avec fracas.- PARTEZ !! ÉLOIGNEZ-VOUS DE MOI !!!
La violence du mal qui rongeait Shisaku terrorisa Anshin. Elle ne prit pas la peine de se relever et se téléporta immédiatement dans ses appartements où elle se cloîtra, tremblante de peur et de rage contre son impuissance.
~*~
Kinzoku et Hasaki se voyaient tous les trois jours à la cascade où les subtils parfums des fleurs des bois pénétrées d’humidité et de la résine des pins suintant sous le soleil charmaient l’odorat.
C’était la jeune femme qui lui donnait le rythme de leurs rendez-vous secrets, le mettant en garde des autres fées qu’il pouvait croiser.
Alors qu’elle remplissait les jarres, Hasaki mirait son reflet dans l’eau. Il lui suffit de lever quelque peu les yeux pour trouver celui du jeune homme.- Tu devrais te faire plus discret, Kinzoku. Ton reflet te trahit.
- Je savais que c’était toi et je suis sorti du buisson où je me cachais. Aurais-tu de bonnes nouvelles à m’annoncer ?Kinzoku s’extirpa avec souplesse des fourrés pour rejoindre la fée. Celle-ci avait attaché ses cheveux à la manière d’Hagane, aussi fut-il troublé lorsqu’elle planta un regard malicieux dans ses yeux argentés.
- J’ai le regret de t’annoncer que la magie de la Vallée des Héros ne reviendra pas tant que les fées de l’argent ne pourront reconstruire et régner dans leur empire, cependant ta quête a une chance d’aboutir…
Kinzoku, ayant expliqué son objectif et ce pourquoi il cherchait à obtenir la reconnaissance des épées d’Aciron, avait obtenu l’aide d’Hasaki, lui promettant de trouver une arme puissante capable de combattre les autres dieux.
- Je t’écoute, Hasaki ! L’encouragea Kinzoku, impatient.
- Te souviens-tu lorsque je t’ai parlé de ces deux voyageurs qui cherchent à te rencontrer pour te proposer une alliance en vue de rallier la puissance des monarques et de renverser Kurao ?
- Je m’en souviens. Te rappelles-tu ce que je t’avais alors répondu ?
- Que leur démarche était vouée à l’échec. Cependant une information capitale m’est parvenue aujourd’hui, et il se peut que tu veuilles les rencontrer…
- Chercherais-tu à me faire languir ?
- L’un des voyageurs se nomme Tenshiro.Kinzoku fut abasourdi par l’annonce d’Hasaki. Ainsi, il est vivant. Vivant et déterminé à changer le cours des choses…
C’était décidé. Kinzoku ne reculerait devant rien. Dussent-ils être trois hères à s’élever contre l’impératrice et sa folie destructrice.- Kinzoku ? Es-tu d’accord ?
- De… ? Excuse-moi, j’étais perdu dans mes pensées, avoua l’ancien gardien.
- Eh bien… Puisqu’il ne t’est pas possible d’obtenir une arme puissante, laisse-moi t’accompagner... avec mon épée.
- Oh… Eh bien… Non, je… je ne préfère pas que tu prennes de risques.
- Je prends rarement de risques. Chacune de mes décisions est mûrement réfléchie ! répliqua Hasaki avec fougue.
- Tu diffères d’Hagane sur ce point là… Fit Kinzoku, plus pour lui-même.
- En combinant ma magie et la tienne, nous aurons plus de poids face aux difficultés que nous pourrions rencontrer ! Je veillerai sur toi et toi…
- Laisse-moi y réfléchir, Hasaki, la coupa-t-il sèchement. Je ne peux prendre la responsabilité d’une vie sur un coup de tête.Kinzoku salua poliment la jeune femme et se retira sans se retourner afin de regagner son duché.
Hasaki avait vécu cette fin d’entrevue comme une humiliation. Elle, qui trahissait les siens pour aider le gardien qui avait été la cause de la déchéance de son royaume, venait de juger du peu de considération qu’il lui manifestait. Aurait-il également refusé l’aide d’Hagane ?
Hasaki calma ses pensées agitées et raisonna sur le chemin du retour. Kinzoku n’avait pas refusé son aide, il se devait d’y réfléchir. Dans trois jours, il reviendrait… avec une réponse favorable, se convainquit-elle.~*~
Anshin ordonna au rebelle en charge de garder le prisonnier de la laisser entrer dans la cellule. Il répondit à sa demande avec hésitation et se tint prêt au cas où Shisaku tenterait une attaque auprès de sa dame.
Cela faisait une semaine qu’Anshin n’avait pas cherché à interroger Shisaku depuis l’incident. Les premiers jours, elle n’avait pu se décider à se confronter à l’esprit du jeune homme, face à l’échec cuisant qu’elle avait essuyé. Puis, peu à peu, un plan avait mûri. Ses capacités spirituelles lui permettaient d’agir : il ne fallait pas réveiller l’esprit qui sommeillait en Shisaku, mais l’isoler et l’enfermer derrière des barrières mentales.
Cela requerrait une constante gymnastique pour Shisaku, mais c’était là la seule solution pour qu’il puisse contrôler son esprit.Arrivée dans la cellule, la jeune femme s’assit près de Shisaku qui se leva et se plaça à l’autre extrémité.
- Est-ce ma présence qui t’indispose ?
- Pas tant votre présence, mais je souhaite éviter tout stimulus pouvant le faire revenir.
- Sait-il où nous nous trouvons.
- Je l’ignore. Je ne partage pas ses pensées, tout comme il ne partage pas les miennes. Mais soyez sûre qu’il vous a bien identifiée.
- Shisaku, je te demande pardon pour avoir mal agi la dernière fois. J’ai cherché à sonder chaque parcelle de ton âme sans avoir tenu compte de tes avertissements…Le dieu déchu ne releva pas. Anshin était une femme fière, puissante, menant ses hommes d’une main de fer, mais en prouvant qu’elle était capable de reconnaître ses fautes elle se distinguait des figures dictatoriales.
La Dame expliqua la façon dont elle allait s’y prendre pour aider Shisaku. Il ne s’agissait plus de remettre en question son esprit ou sa docilité. En ayant parcouru son âme, Anshin n’avait décelé rien de mauvais, excepté un double chafouin qu’il fallait neutraliser.
Tant qu’il résiderait en lui, elle ne pourrait le libérer de sa cage et Shisaku ne semblait plus contrarié par rapport à l’entrave qu’il subissait.La semaine qu’il passa à travailler avec Anshin lui permit de découvrir la jeune femme sous un autre jour. Elle prenait mille précautions à chacune de ses actions sur son esprit et le laissait parfois inconsciemment s’immerger dans ses pensées.
Il y découvrit les dures lois des fées de l’esprit dont voulait s’affranchir Anshin, partagea sa joie lorsqu’elle fut confirmée pour appartenir au cercle de la sagesse et y réformer certaines règles, et entrevit sa peine lorsqu’elle fut déchue pour avoir prêté son pouvoir.
Shisaku ne souhaitait pas plonger dans le passé de la fée à son insu, aussi, chaque fois qu’elle ouvrait la porte de ses pensées il lui fit savoir en arrêtant le travail.
Anshin l’en remercia mais ne chercha pas à renforcer ses protections mentales. Ainsi, Shisaku pouvait découvrir le monde magique tel qu’il était avant la nuit de nouvelle lune où les fées avaient tout perdu.Au fur et à mesure, ils apprenaient l’un de l’autre. Ils apprenaient ensemble en partageant des pensées, des bribes de souvenirs forts et plus légers, de cœurs blessés à esprits ouverts, et se quittaient sans un mot.
Leur solitude était soulagée par ces échanges silencieux et comblée par ce singulier apprentissage spirituel.~*~
Peut-être veut-elle simplement marcher dans les pas d’Hagane… pourtant elle aurait dû retenir la leçon… ou peut-être veut-elle réparer la faute que nous avons commise, en m’aidant à restaurer le pouvoir régulateur des fées…
Kinzoku avait été perturbé par l’annonce d’Hasaki et avait tourné la question dans tous les sens. Sa priorité était l’absence de risque à faire courir à la jeune femme. Alors qu’il croyait Hasaki sage, celle-ci se montrait aussi impétueuse que sa grande sœur lorsqu’il s’agissait de partir tête baissée à l’aventure.Les voyageurs ne s’annonçaient pas encore et il lui fallait prendre une décision. Aucune épée ne répondait à son appel or Hasaki en détenait une et mettait son bras à sa disposition.
C’était décidé. Il acceptait l’offre de la jeune femme et ferait tout ce qui était en son pouvoir pour la protéger.Il se cacha comme à son habitude derrière les buissons, en attendant la venue de son amie. En entendant le bruissement caractéristique de la robe de lin à chacun des pas de la jeune femme, il se redressa, et alors qu’elle puisait de l’eau dans la cascade, Kinzoku trouva étrange qu’elle ne l’interpelle pas.
Il voulut se lever pour se manifester mais il se ravisa au moment où la jeune fée porta un regard inquiet aux cieux chargés de nuages. Ce n’était pas l’obscurité oppressante des lourds nuages qui paralysa Kinzoku, mais bien le visage qu’il avait en face de lui… un visage noble dont le regard inquiet mais déterminé défiait les nuages de décharger leur humide colère. Le visage d’Hagane.Kinzoku passa ces quelques minutes à contempler la jeune femme de son cœur, et n’osait croire au miracle de la scène anodine qui se déroulait devant ses yeux.
Et lorsqu’elle disparut en laissant flotter un discret parfum boisé, Kinzoku put à nouveau réfléchir… il avait un jour d’avance sur son rendez-vous avec Hasaki.~*~
Alors qu’il attendait la venue d’Anshin plus tard dans l’après-midi, un bruit de serrure crochetée parvint à l’oreille de Shisaku.
Anshin venait d’ouvrir en toute hâte la cellule et enjoignit Shisaku d’en sortir. Le jeune homme percevait une nervosité inhabituelle dans ses réactions d’ordinaire si réfléchies.- Les sbires de Kurao sont à nos portes. Les observateurs les ont surpris franchir nos premières lignes de défense.
- Et tu me libères ? S’alarma Shisaku.
- Non, tu m’accompagnes. Mes troupes resteront dans le périmètre et occuperont les postes de défense avancées. Quant à nous, il nous faut tenir compte de l’avancée de l’ennemi et tenter de les chasser en brouillant leur mental. La citadelle a une chance de tenir tant qu’elle ne sera pas localisée.
- Je ne sais pas si c’est très prudent…
- Shisaku, j’ai besoin de ton aide, avoua Anshin. Toi seul a la capacité de me défendre et de m’assister dans les explorations mentales. Je resterai à tes côtés et je te guiderai afin que ton esprit ne divague pas.Anshin ne mentionnait pas le dédoublement d’esprit de Shisaku comme une existence à part entière ce qui chagrina quelque peu le jeune homme. La confiance qu’elle lui portait était donc limitée.
Elle ne laissa pas le temps à Shisaku de pousser plus loin sa réflexion car déjà elle lui empoigna le bras afin qu’il soit téléporté avec elle.Ils atterrirent au niveau de la zone tampon, non loin du glacis placé avant la frontière délimitant Sasori et Ookami, à trois miles de la citadelle.
Bien que la végétation fût dense et anarchique, les démons humanoïdes n’éprouvaient aucune peine à progresser dans le fouillis de buissons ou à se faufiler entre le fût des grands arbres disposés en rangs serrés, et avançaient au pas de course de manière ordonnée : leur destination était claire, les rebelles étaient menacés.
Anshin se tourna près de Shisaku pour lui faire part de ses pensées et elle trouva celui-ci la tête renversée, les yeux tournés vers le ciel. Sa bouche entre-ouverte laissa échapper un rire guttural.- Shisaku, que se passe-t-il… ? Demanda-t-elle avec retenue.
- Mmmmh… De la peur dans ta voix ? Seraient-ce les monstres ou bien moi ?La fée n’eut pas le temps de s’écarter car Shisaku entrava sa pensée… ainsi que les ordres émis de son esprit à son corps.
Il s’avança lentement vers Anshin et, arrivé à son niveau, il inspira profondément de la naissance du cou jusqu’à son front pour s’immerger de la peur qui émanait de la jeune femme.- Mon autre moi ne m’avait pas laissé terminer ce que je voulais entreprendre la dernière fois que nous nous sommes vus… Et il a toujours fait en sorte de me garder reclus. Cela lui demandait vraiment beaucoup d’efforts… Mais grâce au stimulus de la téléportation, tu as pu me libérer…
Les mains de Shisaku parcouraient le corps sans défense d’Anshin. Seul son regard pouvait exprimer son ressentiment. Un regard où étaient mêlées haine et colère de soi.
Le désir du renégat s’exprimait par son empressement et sa maladresse. Anshin attendait le moment où il s’oublierait car elle disposerait alors de quelques secondes où elle pourrait riposter.
Comme s’il avait lu dans ses pensées, il ne chercha pas à aller plus loin et se détacha de la fée sans cesser son contrôle sur son esprit. Avant de la quitter, il lui adressa un signe de tête pour la remercier, agrémenté d’un sourire mauvais.Et il ne fallut que peu de temps pour qu’une horde de démons, nés pour détruire, ne s’intéresse à elle.
Le contrôle de Shisaku perdait en puissance. Anshin retrouvait l’usage de son corps et d’une partie de son pouvoir, mais elle ne pouvait pas y puiser à volonté et devait ménager ses efforts.
Si elle voulait s’en sortir, il lui fallait combattre les monstres à l’aide de son coutelas, en maniant ruse et téléportation à courte distance.Tachée de sang noir et exténuée, Anshin parvint difficilement à venir à bout des démons. La nuit sombre et étouffante avait eu raison de ses dernières forces.
Souffrant d’épuisement physique et d’un mal de tête persistant, la fée s’écroula de fatigue dans un milieu pourtant hostile.~*~
- Pourquoi m’avoir caché l’existence de ta sœur ?
- Je ne connaissais pas l’ampleur de ta velléité… Tu aurais pu la tuer pour prendre son épée et je préférai prendre ce risque.Kinzoku n’avait pas attendu caché derrière les buissons comme à son habitude. Lorsqu’elle était à la cascade, Hasaki avait trouvé Kinzoku faisant les cent pas sur la berge d’en face. A sa vue, il traversa le petit bras de rivière et s’était adressé à elle sans détours.
- Crois-tu encore que je pourrai porter la main sur Hagane ?
- Je ne crois rien du tout, je reste méfiante vis-à-vis d’elle. Ma sœur est tout pour moi !
- Mais tu me fais confiance désormais… Tu m’as même proposé de m’accompagner dans ma quête ! Ne pourrai-je au moins la voir, lui parler… ?
- Elle ne veut plus entendre parler de toi, le coupa Hasaki. Elle s’en veut et elle t’en veut du mal que tu as fait aux autres et aurait tenté quelque chose de stupide si tu étais apparu face à elle. Pour te défendre, tu aurais été obligé de la tuer. Je t’ai tu son existence car je ne voulais pas que tu tentes quoi que ce soit d’inconsidéré… et parce que je voulais que tu accomplisses ton dessein, lui avoua-t-elle.
- Le connait-elle ?
- Non. Elle ne sait même pas que nous nous voyons, autrement elle me l’aurait interdit.
- Alors tu ne m’accompagneras pas.
- Mais…
- Ce n’est pas le souhait d’Hagane et je tiens à le respecter. Je ne veux pas qu’elle me reproche d’avoir risqué ta vie.
- Je dispose de ma vie comme je l’entends ! Rétorqua Hasaki.
- Je pensais que tu n’avais plus aucune famille, mais ce n’est pas le cas. Si Hagane est tout pour toi, tu lui es également chère.
- Je veux t’aider, je ne veux pas rester à me cacher ou à ne rien faire !
- Tu veux réellement m’aider ?Hasaki hochait la tête avec détermination. Les bras croisés, elle cherchait à prouver qu’elle était largement capable de relever l’épreuve.
- Bien, reprit Kinzoku. Dans ce cas, prête-moi ton épée, je te la rendrai une fois ma mission accomplie.
A l’annonce froide de l’ancien gardien, la jeune femme ressentit comme un poids sur son cœur. Malgré cela, elle ne laissa échapper aucune surprise, ni indignation.
- A une condition…
- Laquelle ?
- A défaut de ton cœur que je n’ai su conquérir… donne-moi ton corps et laisse-moi être ton unique amour pour cette nuit.Kinzoku fut décontenancé. Jamais il n’avait imaginé Hasaki éprouver des sentiments envers lui, et malgré la ressemblance étroite avec sa sœur Hagane, la jeune femme n’avait pas atteint son cœur de la même manière. Il portait pourtant une grande estime pour Hasaki et son courage, mais avoir revu Hagane le conforta dans sa démarche et clarifia ses sentiments.
Kinzoku ne put lui fournir une réponse appropriée car l’orage qui menaçait depuis la veille venait d’éclater et déchargeait sa fureur contenue sur les deux jeunes gens. Ils s’empressèrent de trouver un abri, près de la cascade où un renflement de la roche leur permettait de se protéger.
Hasaki se blottit contre le torse du jeune homme, tremblant de tout son être. Par un réflexe protecteur, Kinzoku ceignit ses bras autour d’elle et sous le son martelant de la pluie, ils s’abandonnèrent en ces lieux, la nuit et la pluie pour seule compagnie.Au petit matin, Hasaki chercha la chaleur du corps de Kinzoku, mais elle ne le trouva pas à ses côtés. Elle se redressa, releva la cape qu’il avait mise à sa taille, et elle le vit accoudé à la paroi rocheuse, le regard perdu dans la densité verte de la forêt.
- Bonjour Hasaki… La salua-t-il d’une voix terne et sans entrain.
- Bonjour…Un silence gênant s’installa entre eux. Hasaki sentait que Kinzoku regrettait ses gestes de la veille, et bien qu’il ne se fût pas abandonné en promesses nocturnes, elle avait espéré que son cœur s’ouvre un peu plus.
- Hasaki, je pars aujourd’hui…
Il s’était retourné pour lui parler, mais son regard était fuyant.
- Pourrais-tu… pourrais-tu me prêter ton…
- N’éprouves-tu aucune affection à mon égard ? Le coupa-t-elle.
- De l’affection, certes. Ta ressemblance physique avec Hagane m’avait énormément troublé au début, je l’admets, mais Hagane reste l’unique personne qui emplit mon cœur.Hasaki avait détourné le regard, les lèvres pincées. La jalousie se lisait sur son visage et elle ne cherchait pas à le cacher.
Kinzoku s’avança avec hésitation, s’attendant à ce qu’elle l’accable d’injures. Mais ne voyant aucune réticence de la part d’Hasaki, il porta la main sur le pommeau de son épée.- Tu ne pourras pas utiliser l’épée sans moi, lui lança-t-elle, sèchement.
- Hasaki, on s’était mis d’accord… Plaidait Kinzoku, sentant l’agacement poindre.
- Il ne s’agit pas de ma seule volonté. L’épée détient le pouvoir de son propriétaire, moi en l’occurrence. Elle ne t’obéira pas. C’est à moi de tenir son pommeau, donc si tu souhaites en utiliser le pouvoir, je dois t’accompagner.Un sentiment de rancœur s’immisçait au fur et à mesure des paroles de la fée. Kinzoku était profondément déçu par le comportement d’Hasaki et par sa confiance aveugle qui avait mal cerné la jeune femme. Hasaki et sa sœur avaient beau se ressembler, leurs caractères étaient diamétralement opposés. En revenant ainsi sur ses paroles, Kinzoku s’emporta :
- Il en est hors de question ! Comment pourrai-je accorder ma confiance à une personne qui m’a menti par deux fois ? Quel est ton but véritable ? Je t’ai fait confiance dès le début et tu m’as caché l’existence de ta sœur, et maintenant tu reviens sur le pouvoir de l’épée !
- Mes intentions ne sont pas mauvaises ! Répliqua Hasaki, étonnée par la colère soudaine du jeune homme. Crois-moi, je ferai tout pour toi, c’est juste que… c’est juste que…
- Je ne reviendrai pas sur ma décision ! La seule personne qui pourrait m’accompagner dans ma tâche serait Hagane, de par son courage et sa maturité… Une personne en qui je peux avoir confiance, mais je ne veux impliquer perso…
- COMMENT OSES-TU DIRE QU’HAGANE EST PLUS MATURE QUE MOI ?!! Hurla-t-elle de rage. C’est par sa faute que nous en sommes là, et que j’en suis là !Hasaki agrippa son épée et la lui lança à ses pieds. Elle reprit son souffle pour se calmer et se redressa, la cape coulant sur son corps avant de tomber par terre.
- Prends cette épée ! Lui ordonna-t-elle en relevant le regard dans une expression de défi.
Kinzoku n’était nullement impressionnée par la femme nue qui s’avançait et s’empara de l’épée magique, tout en maintenant son regard sur Hasaki.
Arrivée à son niveau, elle toucha la lame gravée des multiples incantations magique du peuple des fées et fit glisser ses doigts vers le pommeau.
Kinzoku était crispé. Il gardait fermement la main fermée autour du pommeau, mais jamais il n’aurait imaginé le geste d’Hasaki.La malheureuse s’était reculée pour mieux arracher sa vie en faisant pénétrer l’épée dans son abdomen. Se donnant le coup de grâce, Kinzoku, à l’autre extrémité de l’épée put lire les secrets du pouvoir des fées du métal dans le cœur d’Hasaki.
L’épée le reconnaissait désormais comme son nouveau maître et lui délivrait sans retenue aucune son pouvoir. Encore abasourdi par son passage dans le mysticisme, Kinzoku revint à lui et vit Hasaki effondrée dans ses bras, respirant faiblement.
- Pou… pourquoi ? Murmura-t-il, choqué par la vision qui s’offrait à lui.
- Parce que c’était la seule solution… la seule solution pour que je puisse te venir en aide… ce que j’ai toujours voulu…
- Je ne voulais pas ça… Je n’ai jamais voulu te faire courir le moindre danger…
- Au moins, tu penseras à moi… Pars, maintenant.
- Je vais te ramener auprès de ton clan. Eux sauront te soigner ! Se résolut-il en la portant délicatement dans ses bras.
- N… non, laisse-moi ici. Leur colère serait terrible… et c’est une fois morte que l’épée répondra à tes sollicitations.Kinzoku fut effrayé par l’exhortation mortelle d’Hasaki. Elle résistait faiblement mais fermement pour rester sous le renfoncement rocheux et Kinzoku n’eut d’autre choix que de la laisser en ces lieux et de s’en aller à contrecœur après l’avoir recouverte de sa cape.
~*~
Une pluie, d’abord fine, chargée de la senteur des pins du sud perlait finement des arbres feuillus, puis, sous la violence du vent et des averses, les feuilles des chênes centenaires ployèrent sous le poids et délivrèrent le contenu sur la jeune femme qui dormait à leur pied.
Anshin se réveilla brusquement. La pluie battait au plus haut point et l’orage se faisait entendre.
Angoissée par l’endroit inhabituel et méconnaissable, elle mit un certain temps pour se souvenir de ses actions.
Les carcasses des démons encore chaudes fumaient sous la pluie et dégageaient une odeur rance et délétère.
Anshin ne resta pas un instant de plus en ces lieux, et ayant retrouvé la totalité de ses pouvoirs, elle se téléporta à la citadelle en espérant ne pas avoir inquiété ses généraux.La cité était étrangement calme. L’état d’agitation aurait été normal, voire attendu en ces temps troubles où chacun était sur le pied de guerre. Lorsqu’elle pénétra dans l’austère pièce principale, n’ayant pour seul décor que des armes accrochées à la pierre brute des murs, Anshin se sentit vaciller.
Ils étaient tous là, empilés au milieu de la salle. Elle reconnaissait chaque homme parmi les corps sans vie et constata avec une profonde amertume qu’aucun n’avait été épargné.
Alors, pour la première fois de sa vie, Anshin se laissa aller à sa tristesse dans un cri de désespoir, où elle hurlait contre la destinée la défaite des idéaux de tout son clan et la prit à témoin qu’ils trouveraient vengeance.
Le visage baigné de larmes, Anshin se retourna vivement, le regard noir de haine lorsqu’elle entendit un bruit métallique sur la pierre nue des murs. Elle y découvrit Shisaku, tête basse, tenant à bout de main une dague avec laquelle il s’appuyait contre le mur.- Pardon…
Shisaku était anéanti. A en juger par la sincérité qui perçait dans sa voix et sa gestuelle, Anshin reconnut l’essence du jeune homme et non celle de son ersatz.
Il s’avança péniblement vers la jeune femme et s’agenouilla en répétant inlassablement sa litanie.
Anshin était amorphe. Elle l’entendait mais ne l’écoutait pas, le regard perdu au-delà des portes de la citadelle. Si seulement je pouvais revenir dans le passé…
Alors ce fut son corps qui agit en lieu et place de son esprit : elle plaça inconsciemment une main réconfortante sur le front du jeune homme, puis se décida à prendre la parole.- Je ne t’en veux pas… Shisaku. Tu n’es pas fautif… Je suis la seule responsable de ce désastre.
- Ma reine, tu m’avais fait confiance… Tu m’avais fait confiance et je n’ai pu le retenir… Je te promets de ne plus être un fardeau. Je t’en prie, libère-moi.
- Si seulement… Murmura Anshin, plus pour elle-même.Shisaku lui tendait la dague d’une main sûre. Les traits de son visage se relâchaient, comme soulagés.
- Je ne peux hélas le faire moi-même car ma volonté se retournerait contre moi et il prendrait le dessus…Tue-moi… tue cet être infâme qui me ronge de l’intérieur !
La perception de la dague et l’utilité qu’il voulait lui accorder fit trembler d’effroi la Dame. La scène commençait seulement à se dessiner dans ses pensées.
- Non… Non, j’ai besoin de toi, plus que tout. Je ne peux pas rester seule, je ne pourrai pas combattre seule ! Ne m’abandonne pas maintenant que tout est possible !
- Je suis désolé, je ne…
- Tout peut rentrer dans l’ordre, Shisaku ! Reprit Anshin sans même l’avoir entendu. Tenshiro et Himeguma regroupent nos forces, nos anciens ennemis cesseront leurs arguties et se lèveront contre Kurao. Le pouvoir tyrannique sera renversé ! Avec ton aide… avec ton aide…
- Tant que je serai habité par la folie, je ne peux être fiable ! La coupa Shisaku avec brusquerie afin de la sortir de son délire. A tout moment je peux me retourner contre toi, et je ne veux pas te blesser…
- Le passé…Le regard d’Anshin qui s’était soudainement animé s’éteignit peu à peu lorsqu’elle intégra la dure réalité. La dague s’imposa à elle et la détermination de Shisaku ne pouvait être éludée.
Anshin fit glisser la lame dans les doigts de sa main libre et, laissant toujours la main sur la tête de Shisaku, elle frappa son front.La lame avait traversé sa main aussi facilement qu’il se fût agi d’eau mais avait craqué lorsqu’elle pénétra le crâne de Shisaku.
Bien qu’il s’attendît à ce geste, la surprise se lisait dans les yeux de l’ancien gardien qui laissèrent échapper des larmes de douleur.Anshin savait qu’elle avait réussi. En traversant l’esprit de Shisaku, le couteau était l’arme qui avait pu terrasser le double de Shisaku. En traversant la main de la fée, le couteau lui servait de fil conducteur pour rajeunir l’esprit du jeune homme, lui faire remonter le passé et reconstruire son identité… Qu’il redevienne ce qu’il était à part entière.
Elle retira très lentement la lame, suivant précautionneusement le chemin inverse qu’elle avait creusé et malgré toutes les précautions qu’elle avait prise, Shisaku roula des yeux et s’évanouit dans les bras d’Anshin.
Restée assise face au charnier pour que jamais elle ne puisse oublier, elle passa la nuit à veiller sur Shisaku en apaisant du mieux qu’elle pouvait son sommeil agité. Et alors que perçait l’aube à travers les épais nuages, Shisaku s’éveilla et capta instantanément le regard doux d’une femme soulagée. Sa bouche s’ouvrit à plusieurs reprises avant qu’il n’exprime clairement sa pensée.- Qui êtes-vous… ?
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